Dans l'ombre du brasier
de Hervé Le Corre

critiqué par Poet75, le 11 mars 2021
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
La Semaine Sanglante
Il y a 150 ans, du 18 mars jusqu’à la « semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871, Paris fut le théâtre d’une insurrection à laquelle on donna le nom de Commune. Epuisé à la suite de la famine qui fut la conséquence du siège de Paris pendant l’hiver 1870-1871, mais également mécontent et humilié par la défaite de la guerre contre les Prussiens, alors que ceux-ci sont toujours aux portes de la capitale, le peuple de Paris, ou en tout cas le groupe des insurgés, se révolte au point d’obliger l’Assemblée à transférer son siège à Versailles (où s’organisent bientôt les représailles). Si la Commune ne dura, en tout et pour tout, que deux mois et dix jours, elle n’en marqua pas moins durablement les esprits, les uns s’y référant comme à un modèle, les autres n’ayant pas de mots assez forts pour la blâmer. Aujourd’hui, 150 ans plus tard, peut-être est-il possible de commémorer l’événement sans recourir aux invectives. Peut-être…
Quoi qu’il en soit, si la Commune de Paris a très peu inspiré les cinéastes, il ne manque pas, par contre, d’écrivains, historiens mais aussi romanciers, qui y ont trouvé matière à écrire. Parmi eux, je propose Dans l’ombre du brasier, de Hervé Le Corre, roman paru en 2018, dont l’action se déroule, très précisément, du jeudi 18 mai au dimanche 28 mai 1871, autrement dit, presque exclusivement, durant la « semaine sanglante » durant laquelle les versaillais, au prix de combats et de répressions impitoyables, reprirent le pouvoir à Paris. .
Le tour de force d'Hervé Le Corre, c’est d’avoir magistralement intégré une histoire criminelle fictive aux faits historiques se déroulant durant cette semaine hors du commun. Alors que tout l’Ouest parisien est en proie à des événements d’une violence extrême, alors que tombent les obus détruisant, quartier après quartier, de nombreux édifices, alors que règne le chaos, les principaux protagonistes du roman se retrouvent, en surplus, impliqués, d’une manière ou d’une autre, dans une sombre histoire de photographies licencieuses. Des jeunes femmes sont enlevées, emprisonnées et droguées dans le but de servir, à leurs dépens, de « modèles » pour un photographe ayant mis au point son infâme trafic. C’est son homme de main, un certain Pujols, qui, avec le concours d’un cocher nommé Clovis, organise l’enlèvement des femmes, certaines d’entre elles étant d’ailleurs vendues ensuite aux appétits des Prussiens.
Or, parmi les femmes enlevées, figure Caroline, la compagne d’un ardent communard prénommé Nicolas qui, avec ses comparses, Le Rouge et Adrien, est occupé à se battre contre les versaillais. D’un autre côté, c’est un certain Roques, nommé délégué à la Sûreté, qui, même en cette période de troubles, se met à enquêter avec détermination afin de trouver trace des femmes disparues. Autrement dit, le roman se présente comme une course contre la montre pour retrouver les disparues et, en particulier, Caroline.
Nul besoin d’en dire davantage sur cette intrigue afin de ne pas trop la dévoiler pour les éventuels lecteurs. Tout en la racontant de main de maître, c’est-à-dire en ménageant des scènes à suspense, Hervé Le Corre, manifestement très documenté, propose un récit impressionnant et palpitant de cette semaine sanglante qui mit un terme à la Commune. Impossible de ne pas être subjugué par la précision avec laquelle l’écrivain rend compte de l’atmosphère anxiogène de ces journées. Il se place essentiellement du côté des communards, mais en évitant toute caricature. Si, parmi les fédérés, il en est qui, jusqu’au bout, prêts à sacrifier leur vie, se comportent en héros, il en est d’autres qui profitent de la débandade pour courir se chercher un refuge après avoir abandonné leur poste. Du côté des communards, du fait de la désorganisation et des moyens limités, la défaite est fatale. Reste, en fin de compte, l’espoir de construire un jour une société plus juste. Espoir que tous les protagonistes, cependant, ne partagent pas. L’un d’eux, Loubet, s’exprime ainsi : « Je n’arrive pas à croire qu’on pourra un jour changer le cours des choses. Vaincre l’injustice, supprimer la misère, établir l’égalité entre tous… Il faudrait changer les hommes d’abord pour qu’ils renoncent à dominer, à profiter des autres, à faire souffrir… Et cela, je ne crois pas que ce soit possible. » « Mais c’est la société qui les pousse à tout cela, répond Roques. (…) La Commune, c’est une idée. C’est par cette idée qu’on peut, justement, s’élever. Rêver plus haut… » Et Loubet de conclure : «… on a peut-être raison tous les deux, après tout. ». Dans ce Paris qui flambe, Hervé Le Corre, quoi qu’il en soit, s’ingénie à chercher des raisons d’espérer. Son roman est admirable.
Bien loin du brasier 2 étoiles

Je venais de lire "Histoire de la Commune de 1871" de Prosper-Olivier Lissagaray (1876) et "Le brasier" de Nicolas Chaudin (2015) quand la Mairie du 13è arrondissement* proposa "Dans l'ombre du brasier" de Hervé le Corre (2020) dans une liste "Polar" pour je ne sais plus trop quel prix…
Bref, Polar, Commune de Paris, Histoire, … Il n'en fallait pas plus pour m'emballer.
Hélas, déception. Malgré une plume plutôt agréable, un français assez riche, une excellente documentation, le roman souffre d'une mauvaise construction et de répétitions laborieuses (surtout dans sa deuxième partie). L'auteur hésite tout au long de son roman entre une enquête policière légère et un roman historique. Il a beaucoup de mal à joindre les deux et abandonne bientôt l'une pour se concentrer sur l'autre. Trop tard. Le lecteur s'est déjà perdu. Il aurait mieux fait d'écrire deux romans distincts. La partie enquête policière est un peu bâclée et finit en eau-de-boudin. La partie "Semaine sanglante" est très partisane (vue exclusivement côté communard), parti pris respectable, si ce n'est que le propos de l'auteur est globalement très manichéen : les bons d'un côté, les méchants de l'autre. C'est oublier un peu vite que du côté de la soldatesque, il y avait beaucoup de paysans que le Parti de l'Ordre avait trompés, faisant passer les Communards pour des ogres assoiffés de sang, comme on le leur fera de nouveau croire des Allemands quelques décennies plus tard pour les envoyer se faire tuer dans les tranchées du Nord. Et, du côté des insurgés, il y avait aussi de nombreuses brutes épaisses avinées dont le seul but était de tuer, violer, et piller. L'auteur y fait furtivement allusion à deux – trois reprises, citant notamment Eugène Varlin. S'il s'était concentré sur cette intrigue historique, plutôt que de diluer son roman dans une histoire de photographies licencieuses, il aurait pu développer cet aspect sans se perdre dans une fastidieuse description du recul des Fédérés, il aurait pu créer des personnages plus charismatiques, mieux nuancés et de tous bords, et les tenir dans son récit plutôt que de les abandonner ci et là, ce qui aurait été, à mon sens, bien plus intéressant.
Dommage, il y avait de la substance et du style.

* A la même époque, cette municipalité nommait une rue nouvelle du nom d'un agitateur Hongrois, partisan du Comité de Salut Public, qui, profitant de l'aide des Prussiens, s'enfuit en catimini avant le massacre final, laissant les Communards se faire exterminer dans la Capitale et fusiller au mur des Fédérés.

Homo.Libris - Paris - 58 ans - 2 mai 2021