Esther
de Jean Racine

critiqué par Fanou03, le 8 octobre 2020
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
"O rives du Jourdain ! ô champs aimés des cieux !"
Assuérus, roi des Perses, a épousé Esther, qui lui a caché qu’elle était juive. Son père adoptif Mardochée lui apprends un jour que Aman, favori d’Assuérus, et qui voue une haine farouche aux hébreux, a réussi à faire signer au roi un décret lui donnant tout pouvoir pour les exterminer. Mardochée presse Esther d’intervenir auprès d’Assuérus en lui révélant ses origines, mais au risque de subir le courroux mortel du Roi.

Esther est la première des deux tragédies bibliques qui vont parachever l’œuvre de Jean Racine. Elle a la particularité d’avoir été commandé par Madame de Maintenon, à l’intention de ses pensionnaires de la Maison de Saint-Cyr (des jeunes filles de noblesse pauvres), qui ont joué la pièce (qui n’était pas destinée à être représentée au théâtre). Jean Racine apparemment ne se proposait donc d’écrire là qu’un « divertissement d’enfant » selon ses propres mots. Cela explique sans doute à quel point on peut être décontenancé par l’allure générale d’Esther au regard des autres grandes pièces du dramaturge. Car tout d’abord on est bien loin ici de la complexité de l’action à laquelle il nous avait habitué. Esther est assez linéaire finalement avec peu de rebondissements. Il faut d'ailleurs noter que la pièce ne comporte que trois actes contre cinq en général dans les autres tragédies de l'auteur.

Il est clair aussi que la psychologie des personnages s’avère être bien moins riche et nuancé dans Esther que dans les autres œuvres de notre tragédien. Les figures principales de la pièce (Esther donc, Mardochée, Assuérus, Aman) apparaissent avec peu de fêlures et de failles, ou celles-ci sont en tout cas peu exploitées. Leur caractère apparaît ainsi dans un jour assez clairement manichéen, tandis que les personnages secondaires font preuve de peu d’épaisseur. En un mot : il y manque singulièrement de passions à mon goût, passions dont on avait peur sans doute qu'elles n'effarouchent les demoiselles de Saint-Cyr. On se rend compte assez vite de toute façon que la mission de la pièce était surtout, en chantant les louanges de Dieu, d’édifier le public pour laquelle elle a été écrite, et non pas de mettre en scène les tourments de l’âme humaine. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que Racine y introduit des chœurs de jeunes filles (chœurs chantés, d’ailleurs, si j’ai bien compris), ingénieux artifice pour faire participer les jeunes protégées de Madame de Maintenon.

Les vers de Racine, en dépit de tout, n’ont néanmoins rien perdu ni de leur charme ni de leur éclat, bien au contraire.. C’est un plaisir de les lire et de les réciter à haute voix, même si je reconnais avoir été fort peu sensible par contre à ceux des chœurs et que certaines tirades sont fort longuettes. Un grand lyrisme sacré, parfois pompeux pourra-t-on dire, se dégage également de cette œuvre, inspirée par l’épisode de l’Ancien Testament à laquelle elle fait référence. Esther reste cependant assez différent de ce que j'ai pu lire chez Racine jusqu'à présent, et ce n'est clairement pas l’œuvre de lui que j'ai préférée.