Nous autres de Evgueni Ivanovitch Zamiatine
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Catégorie(s) : Littérature => Russe , Littérature => Fantasy, Horreur, SF et Fantastique

Critiqué par Mauro, le 3 mars 2001 (Bruxelles, Inscrit le 20 février 2001, 61 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 767ème position).
Visites : 7 765  (depuis Novembre 2007)

Avant Huxley, Orwell et les autres : naissance de l'anti-utopie.

De quel monde rêvons-nous ? Il y a vingt ans, quinze ans, dix ans à peine, on nous rabattait régulièrement les oreilles avec cette fameuse, prodigieuse, proximité de l'an 2000.
L'an 2000 a franchi la porte maintenant. Quelques petites saisons rapides après le grand passage. Et qu'est-ce que ça peut bien nous faire ?
Comme toutes choses qui se concrétisent avec le temps, l'an 2000 a cessé de nous donner le vertige. Après le grand fantasme économique et domestique des Sixties, la grande dépression des années septante, la vie au fil des jours, comme un corps à corps. Nous avons perdu le goût de croire aux slogans des fabricants de rêves et d'électro-ménagers. Nous hantons un monde blasé, atrocement quotidien, et le quotidien ignore l'utopie.
Dès les premières décennies de ce siècle, l'utopie traditionnelle avait déjà perdu du terrain. Celle-ci peignait des sociétés figées, des ailleurs improbables, voués à l'accomplissement d'un devenir strictement collectif. Hors d'Utopie, il n'existait rien. Et l'histoire, le temps lui-même qui filait, toujours égal à lui-même, n'avaient plus aucune espèce d'importance.
Le créateur d'Utopie ne se souciait pas d'être crédible ou simplement passionnant. Mais, on imagine assez ce que ce type de sociétés avait d'étouffant et de contraignant. Le bonheur malgré l'homme et malgré tout. C'est cet aspect contraignant, uniforme, non-dynamique, que notre siècle hyper individualiste commencera par réfuter. L'utopie moderne a réintroduit en son sein l'individu et la révolte, l'irrégularité et l'angoisse.
En 1924, le soviétique Eugène Zamiatine publiait « Nous autres » en Grande-Bretagne, une des premières descriptions résolument négatives d'un univers dictatorial, tout entier fondé sur le culte de l'uniformité et de la pensée rationnelle. Le héros de Zamiatine se rebellait sans espoir contre l'illusion d'un bonheur aseptisé, mathématique et grégaire. Même s'il s'agit d'un exemple isolé, il n'est pas indifférent de constater que c'est en Union Soviétique que germait ce courant anti-utopique.
L'utopie traditionnelle, de Thomas More à William Morris, était pure spéculation, vulgarisation d'un discours porteur d'aspirations égalitaires. L'antiutopie se nourrira d'actualité et de déceptions. Par la suite, on retrouvera souvent ce rapport ambigu, parfois contradictoire, avec l'expérience soviétique. Celle-ci apparaîtra tantôt comme une sorte de repoussoir, tantôt comme un modèle déchu, une utopie avortée. L'utopiste moderne a définitivement renoncé à se fier aux utopies.
Aussi, l'utopie exploite les idées fixes et les a-priori de son temps. Aujourd'hui, elle s'alimente de la science-fiction, tout comme autrefois elle courtisait l'exotisme, la littérature de voyage ou le mythe de l'Age d'or. Avec Zamiatine, et après lui, Huxley, Orwell ou Bradbury, le lien entre le règne de la science et la dictature politique apparaît désormais comme un des principes fondateurs du genre.
Le XXe siècle fut le siècle des grandes réalisations scientifiques, mais aussi le siècle où se sont concrétisées vaille que vaille les vieilles aspirations démocratiques, ainsi que les pires expériences totalitaires et concentrationnaires. On peut se demander, à ce stade, si les principes de l'utopie traditionnelle n'ont pas perdu de leur pertinence dès lors qu'ils perdaient également leur caractère de simple projection littéraire.
Si l'on examine les revendications de l'utopie traditionnelle, on constate que la plupart de celles-ci apparaissent infiniment plus accessibles aujourd'hui qu'on ne le supposait autrefois. En se donnant les moyens techniques, voire politiques, de réaliser l'utopie, l'humanité désamorçait la foi et le rêve. La question paradoxale qu'Aldous Huxley épinglait en épigraphe du " Meilleur des Mondes " était " Comment éviter leur réalisation définitive ? "
Ce que rejette notre époque, ce sont les tentations du bonheur par conditionnement, de la stabilité par renoncement et nivellements successifs, de l'unanimité sans participation. L'humain est perfectible, mais se défie de ses propres capacités de changement. Pervertissant à l'extrême les principes de la société utopique, Ray Bradbury faisait dire à un personnage de " Fahrenheit 451 " : " Chacun ne naît pas libre et égal aux autres, mais chacun est façonné égal aux autres. Tout homme est l'image de son semblable, ainsi tout le monde est content. "
Du XVIe au XIXe siècle, les créateurs d'utopie ont cru passionnément en l'humain, aux progrès de l'humain indissolublement liés aux progrès de la société et de la science. Nous savons à présent, Zamiatine nous l’a révélé il y a trois quart de siècle, que la société et la science sont aussi capables de nier l'humain. Dans cette optique, le pessimisme de l'anti-utopie moderne, et plus généralement celui de la science-fiction, pourrait bien être le pessimisme d'une civilisation qui désavoue ses propres principes sans trouver l'énergie, le courage ou les motivations d'en définir de nouveaux.

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tu as sans doute en toi quelques gouttes du sang du soleil, du sang de la forêt

8 étoiles

Critique de Magicite (Sud-Est, Inscrit le 4 janvier 2006, 46 ans) - 5 juillet 2021

Cela commence par une poésie mathématique du totalitarisme.
Si tous ces termes peuvent sembler antinomiques, ils ne le sont tout simplement pas sous la plume de Zamiatine.
Dans une société où l'individualité est inexistante (l'Etat Unitaire) et gouvernée par une personne nommée "Le Bienfaiteur", le héros (une lettre suivie d'un numéro) nous propose par billets façon journal de bord des réflexions sur sa société et les événement qu'il va traverser.
Ce monde est une cité état où tous les objets sont construits en verre: chaises, murs des appartements.
Il est fait plusieurs fois référence à une guerre d'il y a 200 ans où la cité du Bienfaiteur s'est coupée du reste du monde par ce qui est appelé le mur vert. Bien sûr comme dans toute SF, la SF est un prétexte à parler de NOUS.
Contraste entre le monde mécanique, technologique, industriel, où l'humain doit être mécanique, rationnel et utilitaire et ce qui se dresse de l'autre côté du mur. Habilement cette société future parle de l'antéhistoire, celle de ceux qui ne considéraient pas l'ensemble mais l'individualité, n'allaient pas tous se coucher à la même heure, ne se levaient pas chaque matin à la même heure pour vaquer à leurs travaux... cette société ancienne est conservée en tant que musée, ou plutôt des appartements où les portes et les murs ferment la vue aux autres, les armoires permettent de s'y cacher comme dans un vaudeville.
Petit à petit D-503 (puisque que c'est son absence de nom) va passer par ce qu'il pense être sa maladie: émotion, attachement et même pire individualité.
Les médecins, la police secrète (appelée Gardiens), une vieille institutrice ayant comme valeur éducative la cruauté vont voir son mal.
Essayer de l'aider à s'en débarrasser, le héros est même taxé d'une pire maladie: Il a (développé?) une âme.
A travers sa rencontre avec l'intrigante I, une jeune femme qui le force à aller jusqu'à transgresser, prendre conscience de lui-même ...jusqu'à la fatidique pensée irrationnelle avouée: Il aime.
Il y a ces 2 triangles amoureux de D et R avec 0, de D et R avec I. Cela peut sembler cryptique mais ce ne l'est pas dans l'esprit du narrateur.
Ingénieur en chef il se fait taxer de philosophe mathématicien.
Ses tourments sont sur une base de fièvre de nombre irrationnels à partir de la racine carrée de -1.

Chaque billet/annotation retranscrit les découvertes, pensées et en partie ses remords de ne plus être un numéro parmi les autres.
Rythme et rend digeste l'ensemble du roman. Jusqu'à un crescendo, jusqu'à ce que l'organisation qui crée l'ordre se perfectionne et réagisse à ses déviants, ceux qui osent clamer leur individualité, ne pas être un engrenage de l'ensemble.
Pour eux, pour tous une solution ultime est envisagée. La technologie a permis d'extraire l'imagination du cerveau.
La fin est bouleversante et culminant sommet, l'individu perdant au détriment du système comme il se doit dans ce genre de conte sur nos régimes politiques.
Le bonheur, la perfection sont l'absence du désir, la mort de l'individu, des sentiments.
Et le combat entropie Vs Autoritarisme est perdu d'avance pour la force changeante et mouvante de la vie.
Oscillant entre portées symboliques et plus terre à terre les 40 notes d'affilée se lisent facilement, sont prenantes et bien qu'un peu exaspérantes par un manque de je ne sais quoi sont tellement bien faites pour un roman aussi ancien.

Un livre qui mérite d'être lu, qui près de 100 ans plus tard après des débuts de publication difficiles(censure en URSS) a des phrases fortes et pleines de sens, quand on se laisse emporter par la société rationnelle et technologique, la société déshumanisée où l'autorité de tous est la valeur suprême.
Je rajouterais qu'il est l'ossature dinosauresque de "1984" d'Orwell, l'inspiration du dilemme du sauvage chez Huxley dans "Le meilleur des mondes".
Peut-être même I-303 est-elle l'origine de Clarisse McCellan, jeune impertinente qui ose perturber l'ordre établi et troubler le héros.

La traduction (chez Actes Sud la première à partir du texte russe) est limpide, m'a donné envie de découvrir d'autres écrits d'Eugéne Zamiatine.

Dur et visionnaire

8 étoiles

Critique de Arno55 (, Inscrit le 5 août 2010, 42 ans) - 22 décembre 2013

On sent bien l'influence qu'a eu ce livre sur le 1984 de Georges Orwell !
Même ambiance, on retrouve les questionnements habituels d'un individu qui émerge de sa société totalitaire.
Une bonne base pour qui aime le genre dystopique.
Cela dit, son écriture est tout à fait spéciale. La structure désorganisée de la narration reflète en fait la tornade qui s'est déclenchée dans le cerveau du narrateur !
A lire pour qui veut connaître notre avenir...

La première grande anti-utopie du XXème siècle, dénonçant le totalitarisme

10 étoiles

Critique de Eric Eliès (, Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans) - 27 mars 2012

Le roman se présente sous la forme de 40 notes, écrites au jour le jour, par le mathématicien D-503 pour célébrer la grandeur de l’Etat Unique et de son Bienfaiteur. Cette œuvre doit être emportée, avec des milliers d’autres, par le vaisseau spatial "l’Intégral" qui va prochainement porter aux autres mondes habités la démonstration des vertus du joug de la Raison et du renoncement à l’anarchie de la liberté… D-503 est le principal constructeur de "l’Intégral" et s’extasie de sa mission, qui s’insère dans le vaste projet collectif d’établir le règne du Bonheur et de le vie mathématiquement parfaite de l’Etat Unique.
L'Etat Unique est une cité idéale, gouvernée le Bienfaiteur et protégée du monde sauvage par un mur étanche et infranchissable. Les hommes et les femmes de la cité portent tous un uniforme et sont identifiés par un numéro ; leur vie est régie par un calendrier immuable défini par la méthode Taylor et pour le bien général. Puisque nul n’a de choses à dissimuler, ils vivent dans des habitations transparentes, sauf à l’Heure Personnelle où des rideaux permettent aux numéros (ie les citoyens) de profiter d'un peu d’intimité, notamment sexuelle (tout numéro peut librement, via un système de ticket, solliciter une relation sexuelle avec un numéro). Pour prévenir tout éventuel trouble à l’ordre établi, l’Etat Unique dispose d’une police (les Gardiens) qui surveille tous les faits et gestes (ex : les trottoirs sont faits d’une matière synthétique enregistrant les conversations, tout citoyen a un devoir de délation s'il constate un comportement déviant, etc.). D-503 est parfaitement heureux de sa vie jusqu'à ce qu'il rencontre une femme (nommée I-330), qui est une musicienne spécialiste du XXème siècle (pour démontrer sa supériorité sur l'état de barbarie qui régnait avant son édification, la Cité idéale a conservé une maison du XXème et donne des spectacles typiques de la société du XXème siècle). En réalité, I-330 participe à un vaste complot contre le Bienfaiteur et cherche à manipuler D-503, qui est un maillon essentiel en tant que concepteur de "l'Integral". La relation passionnelle qui se noue progressivement entre les deux numéros va peu à peu individualiser D-503 et provoquer une crise. Celle-ci explose lors de la cérémonie de re-élection du Bienfaiteur (vote à main levée) puis culmine lors de... mais je ne dévoilerai pas le dénouement du récit de Zamiatine ! (qui ne peut être deviné à partir des éléments ci-dessus !).

Ce roman est déconcertant par sa construction en formes de notes écrites au fil des jours par un mathématicien qui s'efforce, en multipliant les comparaisons et les parallèles entre le monde futur et la société du début du XXème siècle, d'être compréhensible pour le lecteur. Il est, par de nombreux aspects, très fortement « daté » (comme tout roman de Science-Fiction des années 20) mais il est aussi très novateur. Contrairement à ce qui est écrit dans la critique principale (qui est plus une libre dissertation sur le genre anti-utopique et non un commentaire de lecture), D-503 ne se révolte pas. Il est un rouage de la Cité Idéale qui se met soudain à tourner à vide, sans prise sur les autres rouages, parce qu'il a été subtilement désaxé... L'évolution psychologique de D-503 est finement évoquée, notamment dans son amour naissant qui éveille, par le sentiment de la faute commise, sa conscience individuelle qui n'est en fait qu'une « mauvaise conscience ». Il y a là un peu de Sartre avant l'heure ! Par ailleurs, Zamiatine évite le manichéisme de la lutte du bien (l'Amour) et du mal (le Bienfaiteur) en suggérant que l'amour que suscite I-330 n'est qu'un outil de manipulation au service d'une révolution. D'après mes lectures de Zamiatine (à ce jour limitées à "Nous autres" et à "Seul"), il semble que l'auteur accorde aux femmes une place importante, voire prépondérante, dans les processus révolutionnaires où elles apparaissent comme les vrais moteurs de la contestation, par l'amour et le désir qu'elles inspirent.

Zamiatine, ingénieur naval doté d’une solide formation scientifique et philosophique, est un écrivain soviétique majeur qui a compris et dénoncé, dès les années 20, la contradiction entre le pouvoir politique issu de la Révolution russe, qui restructure et organise la société pour dominer l’Histoire, et les sciences et les arts (dont la littérature), qui ne progressent que par des idées nouvelles mettant en cause les notions établies. En fait, pour Zamiatine, il semble que l'histoire de l'humanité décrive une spirale ascendante où le passage d'un cycle à l'autre se fait nécessairement par rupture, ie par un processus révolutionnaire permanent.
"Nous autres", qui fut aussitôt censuré, est le chef d’oeuvre de Zamiatine, qui a fortement influencé Orwell. Zamiatine dut s'exiler hors d'URSS et mourut à Paris en 1937, au milieu des russes blancs qui le considéraient avec méfiance et mépris car il était resté citoyen soviétique.

NOUS AUTRES

10 étoiles

Critique de Abakkar (, Inscrite le 8 août 2007, 50 ans) - 14 août 2007

Un jour, j'ai découvert NOUS AUTRES de ZAMIATINE et j'ai compris d'où venait l'anticipation de Orwell et Bradbury.

Dans ce roman politique fiction écrit en 1920, rien n'est laissé au hasard...

tout est contrôlé pour que "l'intégral" aie la main mise omniprésente sur chaque numéro.
Chacun doit se conformer à la règle :
être au service de l' état Unique.

D-503 , homme du futur joue le jeu parce qu'il n'a pas le choix , parce que être du côté des meneurs est plus simple ...jusqu'au jour où il rencontre I-330 et sombre petit à petit dans la folie (ou l'amour ?).....

D-503 réalise petit à petit qu'il est dans l'outil d'une matrice incontrôlable , en arrive à l'autocritique du système et se demande si l'essentiel est de maintenir fermement l'harmonie du guide en se conformant ou bien être déviant.....

Zamiatine était un visionnaire, un russe qui finira (par son ouverture d'esprit ) étouffé par l' angoisse....... et deviendra le précurseur des écrivains célèbres et successeurs de notre temps....!!!

comme je vous envie, vous qui n'avez pas encore commencé ce livre

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