Insomnie et autres histoires
de Adrian Tomine

critiqué par Malic, le 16 octobre 2020
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Une autre Amérique
Seize courtes nouvelles graphiques qui racontent des tranches de vie d’américains ordinaires. Les personnages sont souvent dépressifs, solitaires, aux relations humaines difficiles. Des histoires minimalistes, avec des fins ouvertes, sans chutes surprenantes. Ironiquement, dans la nouvelle d’une page intitulée « Chute », c’est d’une chute au sens propre qu’il s’agit. Parfois l’histoire relève du simple fait divers tragique mais avec un élément qui lui confère une dimension supplémentaire ( L’ironie amère de la situation de « Rose bonbon », les jeux d’ombre de « Chute ».)

Le dessin en noir et blanc est sobre mais précis. Les visages et les attitudes corporelles traduisent bien l’inquiétude, l’angoisse, l’ennui, le mal de vivre. Ce sont des récits réalistes dans lesquels on est très loin d’une Amérique triomphante, plutôt dans celle des perdants. Le point de vue est le plus souvent celui du personnage principal, mais ses réflexions sont loin de tout expliquer et laissent une bonne part au mystère et à l’interprétation.

En dépit de la dominante triste de ce recueil, on n’y trouve aucune complaisance ni misérabilisme. J’ai tout aimé dans ces nouvelles : la justesse et l’expressivité de dessin, la crédibilité des personnages, les intrigues, certes minimales, mais qui pour mettre en scène la vie de gens ordinaires, n’en sont pas moins captivantes.
Les histoires d’Adrian Tomine sont souvent comparées à celles de Raymond Carver en raison du minimalisme, de la description du quotidien et des fins ouvertes.

Un aperçu des thèmes et de la tonalité :
« Insomnie » : un jeune homme dépressif tente de renouer avec sa copine qui l’a invité à déjeuner pour son anniversaire. Il ressortira de ces retrouvailles encore plus solitaire et plus perdant qu’avant.
« Echo Avenue » : captivé, un couple observe par la fenêtre les ébats amoureux étranges des nouveaux occupants de l’immeuble en face.
« Pause déjeuner » : une vieille femme se souvient d’un amour de jeunesse, de son enthousiasme d’alors, suivi sans doute de sa déception.
« Tarif de nuit » : un jeune homme demande à sa copine de lui lire au téléphone des cochonneries qu’il a rédigées.
« Transit » : Un homme rate l’avion et du coup perd toute confiance en lui.
« Six jours de froid » : autre histoire de retrouvailles non concluantes.
« Prise d’otage » : du fond du bus, deux ados imbéciles se moquent des autres passagers, les insultent, leur font de réflexions déplaisantes, les menacent.
« Le fil d’Ariane » : Au café, dans la rubrique « je t’ai vu » des petites annonces (il faut croire que ça existe pour de bon), elle lit son exacte description par quelqu’un qui souhaite la rencontrer, même heure, même endroit. Elle y va, mais en vain. De même pour les rendez-vous suivants en divers lieux.
« Dylan et Donovan » et « Quatre juillet » : des parents divorcés tentent en vain de faire plaisir à leurs enfants.
Quelques nouvelles échappent toutefois à la morosité :
« Job d’été » : sur l’insistance de sa mère un ado prend un job d’été dans une boite de photocopie. Il se montre désinvolte et magouilleur dans son travail ( peut-être celui- là ne deviendra-t-il pas un perdant...)
« Supermarché » : une étudiante en job de vacances au supermarché aide avec beaucoup de gentillesse un monsieur aveugle à faire ses emplettes.