L'ivrogne dans la brousse
de Amos Tutuola

critiqué par Septularisen, le 30 novembre 2020
( - - ans)


La note:  étoiles
UN LIVRE HALLUCINANT ET HALLUCINÉ!..
Au début de l’histoire, nous découvrons le héros de ce livre. Nous ne connaîtrons jamais le vrai nom de ce jeune homme, mais uniquement celui qu’il s’est donné: "Père-Des-Dieux-Qui-Peut-Tout-Faire-En-Ce-Monde". Comme il vient d’une famille très riche, il n’a jamais travaillé de sa vie et depuis l'âge de dix ans, il passe ses journées a se soûler du matin au soir au vin de palme.

Son père ayant remarqué son vice, - et comprenant qu'il ne travaillera jamais de sa vie -, lui lègue une plantation de 260 hectares, avec 560.000 palmiers. De quoi lui fournir suffisamment de vin de palme pour en boire le reste de sa vie, malgré sa consommation quotidienne plus de deux cents calebasses. Mais un jour, un accident regrettable survient: Son " malafoutier", - l'homme qui pour lui allait tirer et préparer son vin de palme -, tombe malencontreusement du haut d'un palmier et se tue. Voilà donc un bien grand malheur pour notre homme! Il est incapable de faire ce travail seul, et malgré ses nombreuses recherches, il est impossible de trouver un "malafoutier" aussi expert que le défunt.

La soif se faisant sentir, et les amis, nombreux naguère, se faisant de plus en plus rares, - surtout depuis qu’il n’est plus en mesure de leur verser de cet incomparable breuvage -, le jeune homme n'a plus d'autre choix.. Il décide donc d’aller chercher son “malafoutier”, dans la “Ville-des-Morts”! Commence alors pour lui une quête fascinante qui l'entraîne au plus profond de la brousse. Il se voit imposer toutes sortes d’épreuves, sans obtenir pour autant, en échange, beaucoup de renseignements sur l’objet de sa quête…

“L’ivrogne dans la brousse” est le livre le plus connu du nigérian Amos TUTUOLA (1920 – 1997). Publié au départ en anglais à Londres en 1952, il a été traduit en français dès l’année suivante par, - excusez du peu -, Raymond QUENEAU (1903 – 1976) lui même! La légende raconte que l’auteur était si peu connu à l'époque, que certains ont cru que le livre avait été écrit par M. QUENEAU lui-même, sous couvert d’un pseudonyme…

Et pourtant, le livre ne suit absolument pas un modèle d’écriture européen. C’est en fait un roman-compte, essentiellement composé d'une longue série de récits traditionnels, inspirées de la tradition orale Yoruba, et astucieusement agencés par l'auteur. C’est d’ailleurs écrit comme on parle, dans un langage imparfait, “brut de décoffrage”, avec des longueurs, des digressions, des répétitions et des redondances. Interviennent aussi les mythes et la mythologie Yoruba (un peu comme dans certains les livres de son compatriote Wole SOYINKA (*1934, déjà critique par ailleurs sur CL), le fantastique et sans aucun doute, l’imagination débridée de l’auteur. Et oui, ici les arbres parlent et ont des mains, les enfants naissent de la cendre, les gris-gris vous transforment en pirogue, feu ou oiseau, les tribus ont une anatomie qui se réduit a leur crâne, les villes et leurs habitants sont entièrement de couleur rouge et les morts ne le sont jamais vraiment… C'est une étrange symbiose de légendes, d'allégories et d'imaginations personnelles, qui illustre de façon étonnante, la coexistence constante du quotidien et du merveilleux.

Le style parlé est difficile d’accès, il faut le dire, et rebutera certainement plus d’un lecteur. C'est un peu comme si pour l’auteur la langue n’avait pas d’importance, seule l’histoire qui nous est racontée compte! Nous manquons aussi, nous européens, de repères culturels et contextuels pour tout bien comprendre. Mais, pour peu que l’on s’accroche et que l’on persiste un peu, cela devient facile à lire et on découvre un livre vraiment unique, comme je n’en avait jamais lu, véritablement hallucinant et halluciné!..