Le Scribe
de Célia Houdart

critiqué par Poet75, le 23 décembre 2020
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
Entre Paris et Calcutta
Chandra Roy, le personnage qui est au cœur de ce roman, l’aînée d’une famille brahmane aisée de Calcutta, arrive un beau jour à Paris afin d’intégrer une unité d’études et de recherches de l’Institut Henri-Poincaré. Et nous voilà, dès les premières pages, par je ne sais quelle magie, comme fascinés par ce garçon. L’écriture de Célia Houdart, simple et limpide, les courts chapitres qui composent le roman, cela suffit, on ne sait comment, à susciter, de plus en plus intensément, notre intérêt de lecteurs. La romancière maîtrise merveilleusement l’art d’avancer par petites touches et, mine de rien, d’enrichir ainsi la palette de ses personnages en leur conférant de nombreux traits qui respectent les facettes de leurs identités respectives.
Car, bien sûr, Chandra est au cœur d’un réseau relationnel qui ne cesse de s’affiner. Deux groupes se distinguent. D’une part, celles et ceux avec qui le jeune chercheur venu de Calcutta fait connaissance à Paris : Françoise Stern, la directrice adjointe de la Recherche à l’Institut Poincaré, Klemens et Ingrid Kowalski, résidents de l’île Saint-Louis qui se chargent de l’hébergement du jeune homme, Mary l’Américaine et Dimitri le Russe, tous deux ses collègues étudiants chercheurs, et enfin Margot, charmante jeune femme rencontrée dans un snack avec qui se noue, petit à petit, une idylle. D’autre part, l’on découvre, à Calcutta, les membres de la famille de Chandra : sa grand-mère Indir, qui prépare soigneusement la dégustation des fruits qui régaleront les siens tout en se résignant à une mort qui lui semble imminente, Sweety et Sharmila, ses sœurs qui se confient volontiers à Chandra par le moyen de Skype, Roshan, sa mère soucieuse de soutenir les femmes de l’Inde qui se battent pour leurs droits, et surtout Manoj, le père qui dirige une usine de traitement des eaux usées.
Cela fait beaucoup de personnages pour un roman qui ne comporte qu’un nombre relativement peu élevé de pages. Pourtant, le roman terminé, l’on n’a nullement le sentiment qu’aucun d’eux ait été bâclé. Au contraire, c’est presque comme si l’on s’était familiarisé avec eux, y compris avec ceux qui vivent à Calcutta. Le roman abonde en petites notes qui suffisent à tenir en haleine ou simplement à intriguer : un dialogue entre Chandra et Margot sur Isabelle Eberhardt (1877-1904), grande et intrépide voyageuse qui s’était convertie à l’Islam, la découverte des modèles géométriques de Gaspard Monge (1746-1818) entreposés à Henri-Poincaré, une visite au Louvre ayant pour but d’y admirer l’effigie du scribe exposée dans les salles égyptiennes (Margot ayant affirmé à Chandra qu’il lui ressemblait), une discussion entre étudiantes sur une catastrophe survenue à Ottawa ou encore la recherche des inscriptions effectuées sur des murs et des monuments de Paris par l’écrivain Nicolas Restif de la Bretonne (1734-1806) qui semble être le premier « tagueur » de la capitale française.
Il en est de même à Calcutta, d’autant plus que Chandra entre souvent en communication avec les membres de sa famille par le moyen de Skype. Chacun, chacune révèle quelque chose de sa vie, de ses préoccupations, de ses interrogations, à l’exemple de Sharmila qui confie à son frère qu’elle est en lien avec un inconnu (tous deux utilisant des pseudonymes) sur internet. Mais c’est surtout au sujet de Manoj, le père, et de son usine de traitement des eaux usées que les choses se complexifient, une étrange menace, venue d’on ne sait où, risquant de provoquer un cataclysme écologique. Mais que peut faire Chandra, lui qui est à Paris, bien séparé, par des kilomètres de distance, de son père confronté à de terribles difficultés ? Quelques-uns des fils de l’histoire se nouent alors de manière on ne peut plus subtile. Car tout est finesse, sans nul doute, même dans un contexte d’inquiétude, de violence faite à notre planète, de crise, de pollution, dans ce roman qu’on peut dire roman d’apprentissage.