Brèves de solitude
de Sylvie Germain

critiqué par Cyclo, le 27 février 2021
(Bordeaux - 79 ans)


La note:  étoiles
âmes séparées
Ce nouveau roman de Sylvie Germain est constitué de deux parties. La première partie, avec unité de temps et de lieu se passe en une journée, dans un square à Paris, où différentes personnes se croisent, passent un moment, chacune murée dans sa solitude ; une vieille dame, un apprenti écrivain, des jeunes gens et jeunes filles, des mamans avec enfants, un fils dont la mère est en EHPAD, une assistante de vie qui y emmène sa cliente pour la sortir de chez elle, etc, et un jeune réfugié noir, transi de fièvre et affamé, dont on ne saura rien… La vieille dame, Joséphine, est intriguée par le jeune migrant, car "en plus, avec ce virus débarqué de Chine dont les médias rebattent les oreilles des gens depuis quelque temps, on doit se méfier davantage de tous, de tout". Et tous ces solitaires, qui se croisent souvent sans se parler ni s’intéresser aux autres, sont inquiets de la pandémie annoncée et se comportent déjà dans la défiance. Il y a là une observation et une analyse réalistes des comportements de tous et de chacun.

La deuxième partie se situe quelque temps plus tard, pendant le confinement, et reprend ces mêmes personnes enfermées chez elles, confrontées à elles-mêmes. Ainsi, l’apprenti écrivain veut se lancer dans un roman, Joséphine ne sort plus du tout jusqu’à ce que la concierge portugaise l’invite à l'accompagner sur les balcons des appartements vides des Parisiens partis se mettre au vert, car elle a les clés et doit s’occuper de leurs plantes et continuer à faire le ménage. Et un soir, elles aperçoivent la lune à son périgée, justement le mot que la vieille dame n’avait pas trouvé pour achever ses mots croisés, le seul loisir dont elle est friande. Tout cela est décrit avec objectivité, mâtinée de finesse et de sensibilité frémissante. Et parfois même avec humour, comme cette remarque d’un des faux jumeaux, à propos de son chien : "Les animaux dits de compagnie sont nos âmes d’accompagnement. Ils ne mentent jamais, eux, ne trahissent personne, ils ne couvent pas des idées torves, ne fomentent pas des coups tordus, ils ne nous font aucun mal. Que du bien, que du bon. Nous c’est tout le contraire. Oui, nous méritons nos muselières", ou lorsque sont évoquées "les furieuses batailles autour du papier-toilette auxquelles se sont livrées certaine personnes saisies d’un syndrome de hamster hystérico-hygiéniste, à croire qu’elles envisageaient d’uriner avec une abondance digne des chutes du Niagara et de déféquer comme des pachydermes tout au long du confinement".

Car l’actualité commande et les liens sociaux, déjà faibles pendant l’épisode du square, deviennent presque inexistants, celui-ci étant fermé, ainsi que tous les lieux de rencontres. On peut s’identifier à l’un ou l’autre des ces personnages qui se croisent et s’ignorent, traînent leur histoire et leur plus ou moins grande solitude et fragilité, celle de l’étudiante, de la vieille dame, du romancier débutant, du réfugié, dont l'auteure brosse le portrait par petites touches. C’est banal, c’est quotidien. Les deux parties du roman se répondent, et si on perd un peu dans les personnages, on apprend à mieux les connaître, jusque parfois à être bouleversé, particulièrement lors de la mort de la mère en EHPAD, morte plus de solitude parce son fils n’est plus autorisé à venir la voir que de la peur du Covid. Un roman sans réel fil conducteur, sauf peut-être le migrant hagard, rendu presqu’invisible, mais qui hante toujours Joséphine : "pourquoi diable se fait-elle autant de souci pour un inconnu, un étranger qui en prime ne lui avait inspiré que de la défiance quand elle l’avait repéré avachi sur un banc ?"

Magistral, même si j'ai mieux aimé la première partie.
Dans mon jardin il y a ... 9 étoiles

Dans ce jardin, il y a Joséphine, Guillaume,Magali, Anaïs, Xavier, Stella, Serge, Emile... et un individu bizarre.
Dans ce jardin, il y a une septuagénaire et ses mots croisés, un égyptologue, une quinquagénaire qui se remet d’un cancer, une punk androgyne, un professeur d’arts plastiques, une auxiliaire de vie, un "fils-qui-fait-foule " en s’occupant de sa mère à l’Ehpad, un petit garçon qui a vu le diable dans un fourré... et un homme pathétique.
Tous ces gens se croisent dans le square de leur quartier, se voient sans se regarder, échangent rarement quelques mots sans conséquences, enfermés dans leurs idées, dans leurs vies respectives, avec pour point commun cet espace partagé. Et chacun apercevra un homme seul, malade, affamé.

Puis le confinement ; cette "hibernation intérieure". On pénètre dans l’intimité de chacun, on les découvre ; chacun en sortira inévitablement transformé.
"Le monde visible est devenu aussi incompréhensible et affolant que l’invisible. Tout est possible, tout est insensé, tout est effrayant."
Impossible de ne pas trouver de résonance avec ses propres expériences ; comme la solitude terrifiante des personnes en EHPAD, l‘isolement des personnes seules mais aussi des événements inattendus, une autre façon de voir les autres, le monde…

ça sonne incroyablement juste, une vraie performance d’autrice pour ce roman qui pourrait être un recueil de nouvelles tant chaque personnage est travaillé, approfondi, touchant. Personnellement, plus touchée par le personnage de Magali et par le sort, dans cette pandémie, de ce SDF black, qualifié par ceux qu’il a croisés "d’individu bizarre, pathétique, semblable, quelconque, indéfini".
Un livre émouvant aux multiples belles phrases, une lecture captivante.
Merci Cyclo !

Marvic - Normandie - 66 ans - 2 décembre 2021