Le nécrophile
de Gabrielle Wittkop

critiqué par Balamento, le 27 août 2004
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Pourquoi la littérature ne peut-elle être qu'une nouveauté ?
En ouvrant cet ouvrage il y a quelques années, ce pouvait déjà être un acte subversif... En l'ouvrant ou simplement en l'acquérant. La littérature est tout sauf timorée. Elle n'est pas provocante, elle ne cherche pas à l'enrichissement de son créateur, elle est juste portée par une beauté formelle qui n'a pas encore été dite, ou jamais dite par le biais ou la façon propre à l'auteur...

Le nécrophile est un roman qui ne provoqua aucun scandale, aucun excès médiatique, aucun étalage sur les bancs des librairies. Pourquoi? Sans doute parce que l'ambition de l'auteur n'était pas dévoyée... chose rare sans doute quant à constater l'étalage quelques années plus tard, plus où moins une décennie, sur papier glacé de presse, dans nos postes TV, des ravages pseudo-licencieux d'une Marie Darrieusecq creuse, d'une Catherine Millet surfant avec intelligence sur la vague ou d'une Christine Angot phénomène de foire. Et pourtant... et pourtant, à l'heure où l'expérience individuelle, le sexe et le voyeurisme s'érigent en valeurs faute de mieux, cet ouvrage portait en son thème tout du profondément scandaleux. Alors pourquoi ouvrir ce livre aujourd'hui ? Pourquoi passée la vague médiatique des écrits scandaleux, des étalages de sexe et d'orgies diverses, pourquoi ouvrir ce livre ? N'avons nous pas déjà tout vu, tout lu, tout vu pour en vouloir encore ? Gabrielle Wittkrop écrit... contrairement à nombre d'auteurs parmi lesquels la confusion serait possible. Régine Desforges, éditrice discrète de ce roman en 1972 le réédita dans la confidence après épuisement en 1990. On peut penser ce que l'on veut de Régine Desforges, de son rôle de précurseur d'une libération féminine de l'écrit à travers ces ouvrages pour jeunes filles ou jeunes hommes découvrant la sensualité, de son rôle de libertine france-loisir, il n'en reste pas moins que cette réédition en elle-même fait la preuve de la validité, de la sincérité de Régine Desforge. Car Gabrielle Wittkrop, écrit, oui, et cela vous saisit à la première page, c'est une raison suffisante :

"12 Octobre 19..

Les cils gris de cette petite fille jettent une ombre grise sur sa joue. Elle a le sourire ironique et rusé de ceux qui en savent long. Deux boucles défrisées encadrent son visage, descendent jusqu'aux festons de la chemise relevée sous les aisselles et qui dévoile un ventre du même blanc bleuté qu'on voit à certaines porcelaines de Chine. Le mont de Vénus, très plat, très lisse, luit légèrement sous la lumière de la lampe ; on dirait qu'un film de sueur le recouvre.
J'ai écarté les cuisses pour contempler la vulve mince comme une cicatrice, aux lèvres transparentes d'un mauvais pâle. Mais il me faudra attendre encore quelques heures car, pour l'instant, tout le corps est encore un peu rigide, un peu crispé, jusqu'à ce que la chaleur de la chambre l'amollisse comme une cire. J'attendrai donc. Cette petite fille en vaut la peine. C'est vraiment une très belle morte."

Le quatrième de couverture se termine par des mots vendeurs, mais qui sait? Peut-être sont ils vrais ? "Son Nécrophile est certainement l'un des textes les plus inquiétants de la littérature contemporaine". Vous aimez lire... n'évitez pas 'le nécrophile', il vous suffit d'éteindre le poste télé juste un soir... L'ouvrage est bref, limpide comme la pluie.
Journal macabre 8 étoiles

Évidemment, le récit d’un voleur de tombes en fera sourciller plus d’un. D’autant plus que cette auteure avait une plume fine et sélective dans le choix des mots qui évoquent les images les plus crues. Rien n’est omis ; les odeurs, les textures et autres. Comme ici où le narrateur nous rappelle comment les morts peuvent nous surprendre : « Tandis que je me glissais dans cette chair si froide, si douce, si délicieusement étroite qu'on ne trouve que chez les morts, l'enfant a brusquement ouvert un œil, translucide comme celui d'une pieuvre et, dans un épouvantable borborygme, a rejeté sur moi le flot noir d'un mystérieux liquide. »

Ce court texte, en dépit du sujet, n’est aucunement vulgaire et va plus loin que la simple description dérangeante de baises de cadavres. Il s’agit d’une œuvre qui s’inscrit dans la tradition du gothique et du grotesque. L’amour dans sa forme la plus romantique est au premier plan. Un amour forcément éphémère, car la nature ne peut s’empêcher de voler aux nécrophiles l’objet de leur passion…

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 1 août 2013