Lonesome Dove : Les rues de Laredo
de Larry McMurtry

critiqué par Poet75, le 11 avril 2021
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
La fin d'une extraordinaire saga
Né le 3 juin 1936 et décédé le 25 mars de cette année (2021), Larry McMurtry est l’auteur de nombreux romans, d’essais et de scénarios, dont celui du Secret de Brokeback Mountain, coécrit avec Diana Ossana. Plusieurs de ses romans ont d’ailleurs été adaptés au cinéma. Quant à la série de quatre romans ayant pour titre générique Lonesome Dove, elle fut remarquablement filmée sous forme de série télévisée. C’est précisément cette tétralogie qui se clôt, d’un point de vue chronologique, avec Les Rues de Laredo, roman dont l’action se déroule en 1890 (La Marche du Mort, le premier des quatre romans, se situait dans les années 1840 ; Lune Comanche, le deuxième, en 1850 ; et Lonesome Dove, le troisième, en 1870).
Ces Rues de Laredo, volume paru tout récemment aux éditions Gallmeister, est donc, en toute logique, fortement marqué par le temps qui s’est écoulé (cinquante années entre le premier roman et celui-ci). L’un des personnages récurrents de la saga, Woodrow Call, en fait particulièrement les frais : lui, qu’on a connu, dans les récits précédents, jeune et fringant, n’est plus à présent qu’un homme âgé de 70 ans, presque un vieil homme dans les contrées rudes de l’Ouest américain, en tout cas un homme diminué. Ses heures de gloire en tant que Texas Ranger semblent évanouies à jamais. Peut-être pas tout à fait cependant car, sa réputation étant toujours intacte, voilà qu’on fait appel à lui pour une nouvelle mission ! La mission de trop ? C’est ce qui fait l’objet de la suite de cette histoire.
Woodrow Call est donc engagé par le colonel Terry, l’intraitable directeur de la compagnie des chemins de fer, afin de mettre un terme aux agissements d’un jeune bandit mexicain (il a dix-neuf ans) du nom de Joey Garza, dont l’une des occupations principales est de piller les trains. C’est un yankee nommé Brookshire qui est chargé par le colonel Terry non seulement de recruter Call mais de l’accompagner dans son périple. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Call se passerait volontiers de la compagnie d’un homme qui, d’emblée, se ridiculise à ses yeux en devant poursuivre son chapeau, un chapeau qui s’envole invariablement de sa tête au moindre coup de vent.
Au fil des pages, c’est, en fin de compte, un groupe de cinq hommes qui se constitue. Autour de Woodrow Call et de Brookshire, viennent s’ajouter Famous Shoes, un pisteur indien compétent mais farouchement indépendant, le shérif adjoint Ted Plunkert qui laisse derrière lui son inconsolable femme Doobie et un personnage qu’on a déjà grandement apprécié dans les volumes précédents de la saga : Pea Eye, lui aussi marié (et père de cinq enfants), qui, après avoir opposé un refus à Call, est pris de remord et se décide à rejoindre le groupe.
Ce sont donc les aventures de ces hommes que le romancier nous propose, leur quête acharnée d’un jeune bandit qui, pendant une bonne partie du roman, demeure insaisissable, quête qui les conduit à croiser les chemins de nombreux autres individus, parfois hauts en couleurs, comme Roy Bean, juge autoproclamé qui se délecte à condamner à la pendaison le moindre réfractaire, ou encore Ben Lily, le chasseur d’ours, mais aussi un meurtrier redoutable, pire encore que Joey Garza, du nom de Mox Mox, un homme dont le plaisir est de brûler ses proies, quelles qu’elles soient, animales ou humaines.
Avec Larry Mcmurtry, impossible de s’ennuyer un seul instant. Le récit est émaillé de péripéties. Mais l’originalité de ce roman (tout comme de l’ensemble de la série des Lonesome Dove) ne vient pas de là. Après tout, l’intrigue des Rues de Laredo n’a rien d’atypique. Pourtant, quand on lit ce roman, on n’a quasiment jamais le sentiment d’avoir affaire à une histoire ressassée, voire banale. Cela tient, à mon avis, à l’extrême subtilité des personnages. Aucun d’eux (sauf peut-être Mox Mox, et encore) n’est fait d’un seul bloc. Aucun ne peut être défini de manière simpliste. On est surpris, par exemple, lorsque le romancier nous explique que, à tel moment, l’un ou l’autre de ces personnages, sous le coup d’une émotion, se met à pleurer. Et ce n’est pas uniquement le fait de Brookshire, le yankee, ce même Brookshire, qui avait semblé si ridicule à Call au début du roman et qui, au fil des pages, révèle bien d’autres facettes de sa personne. Et il en est de même des autres protagonistes.
Mais je ne peux écrire sur Les Rues de Laredo sans garder le meilleur pour la fin. Je veux parler ici des personnages féminins du roman. En fin de compte, ce sont elles, les femmes, qui donnent à ce roman sa singularité. Si les protagonistes masculins sont décrits avec finesse par l’auteur, combien plus les personnages féminins, moins nombreux mais inoubliables. C’est le cas de Doobie, la femme de Ted Plunkert, qui, laissée seule par ce dernier, connaît une destinée tragique. C’est le cas surtout de Lorena, la femme de Pea Eye, une ancienne prostituée ayant totalement changé de vie pour devenir maîtresse d’école et élever ses cinq enfants, Lorena qui ne peut se résoudre à abandonner son mari parti prêter main forte à Call, Lorena capable de tout pour ramener son mari à la maison. Et que dire de Maria, la mère de Joey, son enfant terrible, son fils qui la déteste sans qu’elle comprenne pourquoi ? Maria, écartelée entre ce fils rebelle et son amour pour ses deux autres enfants, tous deux handicapés : Teresa, la petite aveugle, et Rafael, qui est simple d’esprit. Ces personnages féminins, Larry McMurtry les a imaginés et décrits de façon si belle et si juste qu’on en reste pantois. Ce sont les femmes qui font, pour une bonne part, la grandeur et la force de ce roman. Même les personnages secondaires ne sont pas bâclés. Ainsi les cinq prostituées, ou plutôt les putains, puisque c’est le mot qui est employé, ce mot n’ayant ici pas la moindre connotation péjorative, ces cinq putains donc qui accompagnent l’une des protagonistes décédée au cimetière et qui se mettent à chanter, l’une d’elles se faisant remarquer par l’incroyable beauté de sa voix. Oui, ce sont des pages comme celle-ci qui font le prix de ce formidable roman, un roman qu’on ne pouvait espérer meilleur. Il clôt en beauté, quoique sur un ton désabusé, empreint d’un peu de pessimisme, l’extraordinaire saga de Lonesome Dove.