La grande illusion : Journal secret du Brexit (2016-2020)
de Michel Barnier

critiqué par Veneziano, le 8 mai 2021
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Chronique d'une rude séparation
La décision britannique par référendum de quitter l'Union européenne a constitué un coup de tonnerre ; mais elle ne présageait pas à quel point les discussions relatives à ce départ relèveraient du divorce du type le plus rude, coups bas et déclarations fracassantes ayant été multipliés. Dans ce contexte, Michel Barnier a dû négocier les conditions de ce retrait. La tâche s'avérait rude dès le départ pour cet ancien ministre français et commissaire européen, apprécié pour son sens du consensus. Il a dû composer avec les soubresauts, imprévisions politiques du Royaume uni, ayant deux changements de Premiers ministres, des législatives anticipées, des rejets d'accord à n'en plus finir, une presse attentiste, sur fond de crise diplomatique lancinante.

Cette épopée politique, et désormais historique, a démontré son caractère aussi éprouvant que complexe. Une chronologie et un manuel d'explication par A + B est devenu fortement nécessaire pour se souvenir, voire découvrir, et comprendre l'ensemble des phases, à maints rebondissements, de ce processus politico-juridique de retrait. Aussi cet ouvrage décrypte-t-il clairement l'évolution de la procédure, contrariée de nombreuses fois, ayant pu aboutir à une absence d'accord, ou no-deal. Pédagogique, honnête sur sa façon d'opérer et son positionnement personnel, l'auteur reconstitue ce travail mené au forceps. Ce livre reste aussi utile qu'intéressant et didactique.
« Europe is back » 10 étoiles

Passée la surprise générale du Brexit, ses mérites auront été de resserrer les liens entre les 27 états membres de l’UE, de renforcer une dynamique de solidarité, de livrer une image autrement constructive des bénéfices retirés par chacun d’eux. Confiance, transparence, compétence, coopération bienveillante, respect de tous, rigueur juridique et cohérence de la méthode auront accompagné l’esprit de l’équipe spéciale des négociateurs durant ces rudes années d’un travail acharné. Côté britannique c’est l’inverse qui transparaissait déjà dans la campagne du référendum : inconscience, mensonges, propagande, ambiguïtés visant à fissurer l’unité inébranlable des institutions de chacun des pays de l’UE. Même ceux qui avaient à défendre des intérêts puissants dans leurs relations diplomatiques, économiques, financières et sociales avec le Royaume Uni ont donné systématiquement la priorité à l’unité européenne.
La complexité de mise en œuvre de l’article 50 du traité de Lisbonne prenant acte de la volonté exprimée démocratiquement d’un pays adhérent, en l’occurrence le Royaume-Uni en date du 23 juin 2016, tient aux centaines de directives et de règlements sédimentés durant les 60 ans d’une patiente construction portée par un idéal d’avenir commun avec le souci du bien collectif. Dans les faits la difficulté tout au long du processus est venue surtout des Britanniques incapables d’assumer la victoire des Brexiters au référendum, des oppositions et des défections dans les rangs des députés au sein même de leur majorité, des rivalités entre les ministres, du cynisme des plus ambitieux à accéder au pouvoir qui n’ont pas hésité à conduire leur compatriotes à l’opposé de leurs intérêts bien compris.
Un intérêt immense du journal servi par Michel Barnier, négociateur en chef, est de rompre l’anonymat régnant au niveau des institutions de l’UE, d’humaniser cet espace mal perçu par les Européens, de l’éclairer en désignant les centaines de personnalités étant intervenues à un moment ou à un autre par leurs noms, leurs fonctions, leurs parcours, leurs qualités, leur engagement en vue du bien commun. Négociateur en chef il l’est resté jusqu’au premier accord, celui du retrait du Royaume-Uni intervenu le 17 octobre 2019 après le vote positif du Parlement britannique. Négociateur toujours il a été reconduit à l’unanimité jusqu’à la signature du second accord, celui spécifiant la gouvernance du retrait ainsi que les règles juridiques du partenariat avec l’UE pour la suite.
Quel émouvant témoignage à mettre entre toutes les mains, à traduire et diffuser aux peuples de l’UE ! Qu’il leur permette de continuer à croire à la force de leur modèle unique d’une démocratie européenne additionnée à leurs identités nationales respectives. Une leçon de première main adressée aux générations actuelles et futures, des signes forts montrant autant aux Européens eux-mêmes qu’au reste du monde les progrès assurés par une paix durable fondée sur le droit, par une économie régulée au service des consommateurs, par une solidarité renforcée. On ne peut s’empêcher de paraphraser la malice d’Astérix : « ils sont fous ces rosbifs » !

Colen8 - - 83 ans - 6 janvier 2022