Canoës
de Maylis de Kerangal

critiqué par Veneziano, le 22 mai 2021
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Le mystère des voix humaines
Une série de nouvelles présentent des scènes de la vie ordinaire, apparemment anecdotiques, mais qui présentent toutes en commun d'être mues par un mystère sous-jacent, tournant toujours autour d'une voix. Ce peut être la prononciation et l'intonation d'un conjoint, lors d'un emménagement à l'étranger, quand il s'exprime dans une langue étrangère, le souvenir d'une femme disparue sur une annonce de répondeur téléphonique, le ton las et les expressions automatiques de serveurs en fin de service, la puissance vocale d'une dentiste qui vous parle à travers son masque ou la flûte nasillarde d'un coach agaçant.
Les voix nous marquent, nous interrogent, au-delà de ce qu'elles expriment formellement, elles portent des symboles, initient des ressentis qui colorent le propos et instaurant un climat. C'est cet effet psychologique que décrit cette auteure, désormais bien connue, dans des écrits courts et assez originaux, qui amènent à réfléchir sur nos propres expériences. Je regrette juste que l'exercice ne soit pas davantage développé à chaque fois, qu'il ne soit pas conclu par un petit exercice de synthèse, afin de savoir ce qu'elle en retient.
Il s'agit donc d'une invitation faite à la lectrice et au lecteur de se forger sa réflexion pour en extraire ce qu'elle ou il en tire.
UNE VOIX, DES VOIX… FÉMININES!.. 4 étoiles

Mme. Maylis de KERANGAL (*1967) nous offre ici un petit recueil de nouvelles, composé de sept très courtes nouvelles, qui «gravitent», autour d’une «Novella», d’un peu plus de soixante pages, intitulée : «Mustang».

Comme déjà signalé par les recensions précédentes, plus qu’autre chose ce livre est une sorte de «variations», disons une «étude de cas», un atelier d’écriture autour de la voix, et plus spécifiquement autour de la voix féminine. Malheureusement, soyons franc, Mme. De KERANGAL n’est pas une sprinteuse, - comprenez ici une écrivaine de nouvelles, mais beaucoup plus une coureuse de fond, - comprenez ici une écrivaine de romans -, puisque la plupart de ces nouvelles sont plutôt très ratées!..

Rien à faire, à aucun moment je ne suis arrivé à «m’immerger» complètement dans les histoires racontées par l’auteure. A aucun moment je ne suis arrivé à me sentir concerné par les personnages qui défilaient devant moi. En effet, ils ne sont pas assez présentés, pas assez creusés, pas assez développés psychologiquement. Le pire dans ces nouvelles, c’est qu’il n’y a ni queue, ni tête… Il n’y a pas vraiment de commencement, et malheureusement surtout pas de fin! L’auteure se contente de nous montrer des personnages et de les faire «vivoter» devant nous. En effet, dès que l’on gratte un peu le vernis, il n’y a plus rien! On aurait pourtant tellement aimé en savoir plus, connaître la fin de l'histoire, savoir ce que les personnages sont devenus?
Je ne peux malheureusement pas vous en parler en détail dans une si courte recension et surtout sans vous divulgâcher toutes les nouvelles. Mais p.ex. dans la dernière nouvelle de ce livre, intitulée : « Ariane espace», une jeune femme travaillant pour le GEIPAN (1) - dont on ne saura d’ailleurs jamais le nom - interroge une vieille dame, prénommée Ariane, qui a été le témoin d’une apparition d’OVNI… Tout à coup, à la fin de la nouvelle, celle-ci lui dit que les «extra-terrestres» l’ont «contactée» et qu’ils vont revenir le soir même! Ariane demande à la scientifique si elle veut y assister, et celle-ci répond par l’affirmative… Et? Et rien!.. La nouvelle s’arrête là, très brusquement, sans véritable fin, sans suite, sans description, sans... rien!.. On aurait quand même aimé savoir si l’histoire était vraie, si la vieille dame avait vraiment vu un «UFO», s’ils allaient vraiment revenir, etc etc… Et l’auteur ne nous donne… rien! Absolument rien!

Que dire de plus? Comme déjà signalé par Marvic dans sa recension, la nouvelle «Un oiseau léger» est la seule qui échappe à cet «engrenage» destructeur, et bien entendu c’est, - et de loin -, la plus belle des nouvelles de ce livre, et sans doute la seule dont on se souviendra longtemps après sa lecture!
Signalons aussi que comme à l’accoutumée chez l’écrivaine française, c’est très bien écrit (mais alors très!..), il faut le dire, avec son style si particulier, ciselé, précieux! Les descriptions des différents timbres de voix sont vraiment magnifiques!
Mais, malheureusement, ce style ne convient pas, - ou est très mal choisi -, dans certaines des nouvelles qu’elle nous donne à lire. P. ex. dans la nouvelle «After», nous suivons une bande d’adolescents qui fêtent tous ensemble, lors d’une soirée autour d’un feu, leur réussite au BAC. Et bien, les phrases et surtout le vocabulaire qu’elle met dans la bouche des jeunes gens, ne correspondent pas du tout, mais alors vraiment pas, au langage des jeunes gens d’aujourd’hui!.. Désolé Mme. De KERANGAL, mais aucune, - mais alors vraiment aucune -, chance aussi que des «d’jeun’s» réfléchissent comme cela et avec des mots comme ceux-là! Si vous voulez représenter des jeunes d'aujourd'hui (avec une histoire qui est censée se passer de nos jours...), il faut que les jeunes parlent un langage moderne, pas un langage des années 1960! A croire que l'auteure n’écoute jamais ses propres enfants parler! Le récit perd donc ici, -comme d'autres avant lui -, tout intérêt…

Si vous découvrez l’œuvre écrite de Mme. De KERANGAL surtout ne commencez pas par ce livre-ci, vous risqueriez de vous faire une idée complètement biaisée de l’immense talent de cette écrivaine, puisque c’est loin (mais alors très loin, eihn!..) d’être ce qu’elle a écrit de meilleur!..

En conclusion : C’est très bien écrit, je le redis ici, mais malheureusement pas assez original et pas assez marquant pour qu’il m’en reste quelque chose dans quelque temps!..

(1) : Cf. ici : https://www.cnes-geipan.fr

Septularisen - - - ans - 6 septembre 2024


La voix juste 5 étoiles

À la lecture des premières nouvelles, on rencontre effectivement quelques canoës, un pendentif, l’évocation de souvenirs…
Mais comme l’a écrit Veneziano, le thème central de ce recueil est bien la voix, les voix.
La voix d’un être cher disparu, la juste voix pour déclamer un poème d’Edgar Poe devant des chasseuses de voix, la voix d’un conjoint transformée par son séjour à l’étranger, la voix d’une amie qui la veut plus masculine, le cri primal "tu fais comme à la naissance, tu pousses un cri puissant... fini la tristesse.", la voix bloquée par le bégaiement et ce que la voix révèle de chacun, les blessures qu’elle garde comme des traces que seules les oreilles attentives entendent.

Que ce soit pour le don d’organe (Réparer les vivants), la construction d’un pont, la vocation d’un cuisinier (Chemin de table), ou l’art du trompe-l’œil (Un monde à portée de main), Maylis de Kerangal, comme à son habitude, aborde chaque sujet avec une maîtrise parfaite, une approche technique, voire scientifique. Ce recueil ne déroge pas à la règle.
Mais si j’admire son talent et son écriture, je n’ai pas été conquise ni passionnée par ces nouvelles ; seule "Un oiseau léger" m’a vraiment touchée.

Marvic - Normandie - 66 ans - 18 août 2022