Libertad !
de Dan Franck

critiqué par Sahkti, le 30 août 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Se battre!
Dan Franck s'est penché sur les rapports entre la politique et les écrivains pendant la décennie qui a précédé la second guerre mondiale. Une période tumultueuse, de nombreux auteurs en exils, des textes censurés et des libertés bafouées. La France sera une terre d'accueil pour une partie de ces hommes de lettres ayant perdu leur place dans la société en guerre. Que ce soit Bertold Brecht, Arthur Koestler, Joseph Roth ou Heinrich Mann. De quoi, certainement, donner l'impulsion nécessaire à l'engagement des intellectuels français, un engagement que Dan Franck relate avec un certain brin d'envie, on sent derrière ces lignes qu'il entretient une nostalgie de cette époque où les écrivains militaient autrement qu'en chemise blanche sur un plateau de télé.
D.Franck raconte les enthousiasmes, les décisions, les combats de chacun. Les désillusions également. Militer pour un parti ou une idéologie peut mener à la déception lorsqu'il s'agit de faire face aux faits et à leur dure réalité. Gide, par exemple, reviendra déprimé d'un voyage en URSS où il devait faire l'éloge de Maxime Gorki, écrivain écrasé par le régime russe.
Dan Franck relate également, avec beaucoup de détails, l'aventure espagnole de certains écrivains, comme Hemingway, Malraux ou Orwell. Il s'amuse aussi à les faire se rencontrer ou se parler, dialogues réels ou imaginaires, rencontres improbables et croisements de pensées. Démarche intéressante qui aide à comprendre pourquoi certains ont bougé et d'autres moins. Que pouvait motiver un écrivain à partir en croisade contre un parti ou pour une idélologie?

Un petit regret de ma part qui a un peu gâché la lecture: Dan Franck se perd trop souvent dans le style romanesque pour décrire les actes de bravoure ou de courage de ces écrivains. Raconter ce qu'ils ont fait est intéressant, d'autant plus que Franck s'est plutôt bien documenté, mais j'aurais préféré qu'il quitte cet emballage romancé et scénarisé (déformation professionnelle?) pour une évocation plus rigide et moins passionnelle des faits.
Ce qui n'enlève rien à la beauté et à la force du projet de Dan Franck, à savoir réhabiliter ou rendre hommage à ces écrivains engagés devenus trop rares de nos jours.
Question de modèle de société 7 étoiles

J’aime assez Dan Franck (« Le nu couché », « Les aventures de Boro » etc), mais il est vrai qu’ici il mêle un peu beaucoup le romancé avec la réalité. Tant qu’à faire un témoignage, il aurait mieux valu rester un rien plus fidèle au réel qui, dans le cas présent, est bien souvent un roman en lui-même. Il n’en demeure pas moins qu’il a une écriture agréable et qu’il sait mener un récit de manière à captiver son lecteur.

La tradition des écrivains « engagés » remonte assez loin pour ne reprendre que Voltaire et l’affaire Callas, Beaumarchais, Mirabeau, les encyclopédistes, Lamartine puis Hugo et Zola avec son fameux « J’accuse » qui lui vaudra un procès puis l’exil. Mais allons encore un peu plus loin… Certaines fables de La Fontaine étaient risquées pour l’époque et il en allait de même avec certaines pièces de Molière. Cela n’empêchait pas Voltaire d’être très proche du roi de Prusse et Diderot de Catherine II. Ces deux souverains passaient pour « éclairés » … Montaigne n’avait-il pas aussi quelques enseignements « révolutionnaires » ?

Comme n’importe quel citoyen l’écrivain vit dans son époque mais, plus que d’autres, il a une audience et une capacité à dire les choses. Camus a toujours maintenu que l’écrivain se devait de dire les choses et de contribuer de toutes ses forces à lutter contre les oppressions, les inégalités et les abus.

Il est clair que la montée du communisme et des fascismes, au lendemain de la première guerre mondiale, a fortement contribué à l’engagement de nombreux écrivains. Le monde était coupé en deux entre des idéologies complètement opposées (c’était en tout cas l’impression de tous à l’époque)

C’est ce phénomène qui a fait que de nombreux écrivains de cette époque sont montés aux créneaux. Gide et Malraux se rendaient à Moscou avec l’idée que là se trouvait l’avenir du monde. Malraux, Hemingway, Koestler et bien d’autres s’engageaient personnellement, en Espagne, dans un combat contre l’obscurantisme et la dictature. D’autres comme Brasillach ou Drieu La Rochelle, par haine du communisme ou du désordre, ont soutenu les dictatures.

Cette division de nos sociétés, et écrivains (Camus, Sartre, De Beauvoir, Raymond Aron) a survécu plus de 20 ans à la fin de la seconde guerre mondiale à cause de la guerre froide.

Ne cherchons pas ici à savoir qui menait le « bon ou le mauvais » combat, avec le recul c’est trop facile. Bien sûr il est évident que lutter pour les fascismes était une erreur, mais la liberté était-elle vraiment là où certains semblaient la voir ?…

Les écrivains peuvent se tromper comme les autres…

Il y a quelque chose de bien plus important à souligner et Sahkti évoque le problème quand elle dit « l’époque ou les écrivains s’engageaient autrement que sur les plateaux télés… »

Les responsables de cela sont-ils les écrivains ou l’époque ? Il me semble indiscutable que c’est l’époque !

Où sont les idéologies et où sont ceux qui seraient encore prêts à les défendre, ou tout simplement à s’y intéresser ?… Tout le monde court derrière le confort sous toutes ses formes et ses avantages « acquis » comme s’il existait vraiment des choses définitivement acquises sur cette terre !

L’écrivain « engagé », s’il trouvait un engagement, serait voué à hurler dans le désert d’une gigantesque indifférence mondiale qui se limite, devant les images du journal télé de vingt heures, à se dire que « c’est terrible ! » avant que de se plonger avec béatitude dans la dernière version de la Starac ou d’une autre télé réalité.

N’évoquez pas trop ce qui va mal, vous dérangez et vous faites naître des inquiétudes pour l’avenir personnel d’un auditeur qui ne pense qu’à trouver le moyen d’améliorer son petit confort quotidien et de son environnement immédiat.

Comme on a les hommes politiques que l’on mérite, il en va de même pour le reste.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 31 août 2004