Par les soirs bleus d'été
de Franck Pavloff

critiqué par Marvic, le 3 août 2021
(Normandie - 66 ans)


La note:  étoiles
Alice et Arthur
C’est d’abord une étrange jeune femme au prénom singulier, Détélina. Pendant ses quelques moments de liberté, elle descend au fond de la mine désaffectée prenant son corps en photo, saisissant le contraste avec les clichés qu’elle scrute des "gueules noires".
Puis Léo, son fils ; étrange enfant lui aussi ; qui s’exprime au travers de couleurs, se rassure de rituels immuables, parle peu, ne supporte pas le contact.
"Tout simplement aimer cet enfant extraordinaire."
Détélina s’occupe de l’entretien d’un gîte, activité et lieu qui lui conviennent parfaitement par leur isolement et leur tranquillité.

Stépan habite une roulotte à quelques mètres ; lui aussi est solitaire, secret, arrivant d’Ukraine, la tête pleines d’images terribles et envahissantes de guerre.

Détélina l’aperçoit mais n’entretient aucune relation, jusqu’au jour où elle découvre que Léo, attiré par la moto qu’il appelle "sauterelle", communique, à sa manière, et se sent bien avec Stépan.
Perturbant ainsi le fragile équilibre de leurs vies.

Ces deux solitaires vont par touches délicates et discrètes révéler leur enfance. Elle, dont le père mineur de fond a disparu un jour sans laisser d’adresse. Et dont la mère placée en institution, perd la mémoire mais garde celle des odeurs.
Détélina "ne dialogue pas, elle ne ponctue pas, elle dit."
Ce qui convient à Stepan, qui dit son exil, son enfance en Ukraine, sa vie bombardée dans une zone en guerre, que revendiquent plusieurs états

Une plongée magnifique dans l’univers magique de Lewis Carroll, où Détélina enfant se plaisait à suivre et à vivre les aventures d’Alice, et les mots d’Arthur Rimbaud que le père de Stepan aimait tant lui dire. Un roman qui emmène le lecteur dans un univers poétique et féerique, où chacun va prendre le temps de s’éloigner de ses interrogations, de ses blessures d’orphelins.
"Les merveilles d’Alice et les illuminations de Rimbaud vont à l’unisson à travers la Montagne Perdue."

Avec des personnages si touchants et attachants.
Léo, qui communique avec des couleurs, Détélina qui "est une solitude depuis si longtemps" et Stépan qui cherche à " débrancher les images parasites, s’accrocher à ce qu’il capte de l’instant… "
Et même si on devine rapidement leur secret, on est touché, ému par les mots de Rimbaud et de Franck Pavloff, par ce roman empli de tendresse et d’amour où même la couverture (extrait de Clair de lune de Paul Klee) est belle.