Leur domaine
de Jo Nesbø

critiqué par Yeaker, le 28 septembre 2021
(Blace (69) - 51 ans)


La note:  étoiles
Un des meilleurs livres de littérature américaine de Gallmeister…
Sauf que ce n’est pas publié par Gallmeister… et que ce n’est pas de la littérature américaine.
Disons-le tout de go, ce roman noir va déconcerter de nombreux lecteurs de Nesbo. Mais j’espère surtout que de nombreux amateurs de littérature américaine vont venir le découvrir.

Les deux protagonistes principaux sont deux frères de caractères assez différents mais au lien indéfectible. L’ainé est le gérant d’une station service dans la petite ville de Orst dans les montagnes norvégiennes. Ville en déclin. La station vit grâce aux résidences secondaires sur les hauteurs. Mais le projet d’une déviation de la route pourrait changer la donne dans un futur proche. Nous faisons connaissance avec les habitants venant à la station acheter piles, pharmacie ou profiter du snack. Roy est solitaire et a conservé de sa jeunesse une réputation de bagarreur. C’est le narrateur de cette histoire.
Le cadet, beau et séduisant a quitté la ville après avoir rompu avec la fille du maire pour faire ses études en bizness au USA. Le voilà de retour avec le projet de transformer les terres familiales impropres à la culture en complexe hôtelier de luxe.
Ce projet provoquera l’enthousiasme mais aussi ravivera les rancœurs, les jalousies, les secrets et les fantômes du passé. Même le lien entre les deux frères pourrait finir par vaciller.

Le livre s’ouvre sur un accident de chasse (quoi de plus Gallmeisterien !), les montagnes pourraient être les rocheuses, il y a des Cadillac et Ron écoute JJ Cale. C’est une immersion lente dans cette ville d’Orst que nous propose ici Nesbo et ainsi en comprendre ses rouages et les engrenages du passé et ceux à venir où chacun tentera d’atteindre son but.
Très bon livre qui par son auteur et la collection dans laquelle il est publié risque de ne pas trouver son public ce qui serait bien dommage.
Roman noir, roman 9 étoiles

Bien qu'il soit classé dans la catégorie des policiers et thrillers, "Leur domaine" agit sur notre état de lecteur comme le ferait une œuvre plus systémique, sociale.
Certes, l'intrigue est tissée autour du mystère entourant l'enfance de Roy, narrateur, et de Carl, de peu son cadet. Le mystère s'élargit évidemment, autour de morts suspectes et de relations interpersonnelles plus qu'ambiguës.

Norvège, montagne, hiver et froid. Une communauté repliée sur elle-même, avec ses codes, son opportunisme, ses résistances.

Alors qu'arrivés à l'âge adulte, orphelins qu'ils sont et livrés à eux-mêmes, Roy fait le choix de rester dans la maison familiale tout en travaillant comme gérant de la station-service du village, Carl part faire des études aux USA puis travailler au Canada. Il en revient quelques années plus tard, marié avec Shannon, golden boy sûr de lui, gonflé d'un projet ambitieux : construire un complexe hôtelier de haute montagne sur le domaine familial. Et pour cela, il doit rallier à lui la population locale afin de s'assurer des fonds et des garanties. Et comme toujours depuis leur plus tendre enfance, Roy, le frère taciturne, aimant et bagarreur, sera là pour veiller sur lui et assurer ses arrières...

Ce roman se construit lentement sans pour autant nous lâcher une minute : le lien ambivalent et pourtant fort entre les deux frères Opgard, l'arrivée de l'insolite Shannon (émigrée de la Barbade au Canada, déployant ses talents d'architecte) venant perturber leur dynamique intime, les inimitiés et amitiés du village, l'enquête du lensmann sur la disparition de son prédécesseur, les mensonges, jalousies et autres luttes de pouvoir étant autant de pivots dans l'engrenage global du récit.

Extrêmement bien construit, avec ses personnages à la psychologie complexe et fouillée, ce livre est passionnant de par sa richesse narrative, de l'évolution de son histoire qui part sur des bases d'apparence "anodine" avant de se densifier, de se mettre à nu, couche après couche, tout en laissant un climat tantôt malsain, tantôt intriguant se mettre en place jusqu'à l'apogée de la dernière page.

Passionnant.

Bluewitch - Charleroi - 45 ans - 29 juillet 2024