Polyeucte de Corneille
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« La mort la plus infâme, ils l’appellent martyre »
Sous le règne de l’empereur Décie, Polyeucte, un prince arménien, a épousé Pauline, fille de Félix, gouverneur romain d’Arménie. Mais ce bonheur familial va être doublement troublé. Voici en effet que surgit tout d’abord Sévère, ancien amant de Pauline, qui lui était promis, et que tout le monde croyait mort. Et voilà ensuite que Polyeucte, tout juste converti en secret au christianisme, secte persécutée par les romains, mutile la statue d’un dieu romain en plein milieu d’une cérémonie. Polyeucte risque la condamnation à mort, Pauline fera tout pour le sauver. Mais Polyeucte le veut-il vraiment ?
Vraiment pas mal, ce Polyeucte de notre ami Pierre Corneille. La pièce est fort vivante, assez facile à lire, avec de forts beaux vers. Attention : c’est une « tragédie chrétienne », on est dans un ton clairement édifiant, à la gloire de Dieu et de ses martyrs, dont ce fort obscur Polyeucte. On peut donc clairement ne pas accrocher à ce genre plein de louanges. Il est très intéressant de noter d’ailleurs que André Stegmann, dans la présentation de la pièce (édition des œuvres complètes de 1963), souligne qu’à l’époque « l’ouvrage déplut au milieu dévot, qui n’avait certes plus le sens du martyre », que « Polyeucte fut trouvé à la fois fort profane et d’une religion trop exhalée » et que de toute façon « doctes et gens d’Église jugeaient impossible et dangereux les tragédies sur des sujets sacré ».
Pourtant franchement je crois que je préfère à toute prendre ce Polyeucte à Esther ou Athalie, de Racine, beaucoup plus empesées. Car il y a une sincérité touchante, une sorte de grâce qui se dégage de ce texte. Elle décrit bien la persécution des premiers chrétiens, leur abnégation et les questions qu’elle pose (« Pour se donner à Lui faut-il n’aimer personne ? »), ou la forte impression, telle qu’on peut se l’imaginer, que cette foi a pu produire sur leurs bourreaux. On retrouve malheureusement ce qui fait le défaut je trouve de quelques œuvres de Pierre Corneille, comme dans Cinna ou Horace par exemple : une certaine invraisemblance (incohérence ?) psychologique. Si la conversion au christianisme de Pauline peut se comprendre, la conversion « express » de Félix m’a semblé ainsi à la limite du ridicule.
Comme je l’ai dit la pièce est très agréable à lire, plutôt rythmée. Il y a de beaux vers galants (« Je ne veux que la voir, soupirer, et mourir », « D’où viens que tu frémis et que ton cœur soupire ? »); du mouvement, comme dans la scène décrivant Polyeucte et son ami Néarque brisant la statue du Dieu romain. La partie où Polyeucte est en prison et reçoit les visites des protagonistes est également très réussi. Cerise sur la gâteau, Corneille ici sait se faire aussi moraliste : voyez la réflexion d’une Pauline désabusée (« Voilà notre pouvoir sur les esprits des hommes / Voilà ce qui nous reste et l’ordinaire effet / De l’amour qu’on nous donne et des vœux qu’on nous fait. / Tant qu’ils ne sont qu’amants nous sommes souveraines / Et jusqu’à la conquête ils nous traitent de reine / Mais après l’hyménée ils sont rois à leur tour ») ou celle sur l’intégrité que se doivent d’avoir les hommes publiques (« Et lorsqu’on dissimule un ordre domestique / Par quel autorité peut-on, par quelle loi / Châtier en autrui ce qu’on souffre chez soi ? »)
Les éditions
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Polyeucte
de Corneille,
le Livre de poche
ISBN : 9782253047605 ; 4,80 € ; 28/09/1988 ; 192 p. ; Poche
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