La plus secrète mémoire des hommes
de Mohamed Mbougar Sarr

critiqué par Bernard2, le 16 novembre 2021
(DAX - 75 ans)


La note:  étoiles
Goncourt 2021
De nos jours, un écrivain sénégalais découvre un livre publié juste avant la seconde guerre mondiale. Livre dont en son temps l’auteur a été accusé de plagiat.
S’ensuit une recherche sur les traces de cet auteur aujourd’hui disparu.
Sur un thème aussi creux, on a un livre interminable de 450 pages, tortueux, confus, et particulièrement pédant avec des phrases alambiquées, au vocabulaire incompréhensible truffé de mots autant inconnus qu’inutiles.
Dans le livre, on trouve la phrase suivante, qui ironiquement semble tout à fait appropriée au présent ouvrage :
« Et il est dommage qu’un auteur manifestement doué ait préféré s’enfermer dans un vain exercice de style et d’érudition plutôt que de donner à entendre ce qui nous eût davantage intéressé ».
Alors que la lecture est globalement en perte de vitesse, de nombreuses personnes achètent en priorité les prix littéraires. Ce n’est certainement pas avec un tel livre que la tendance va s’inverser.
Voyage littéraire 8 étoiles

Ce roman est... comment dire... très littéraire. Je ne vois pas de meilleur qualificatif. Et je ne suis pas étonné du Goncourt qu'il a reçu. L'écriture, les thèmes, la structure, tout est marqué du sceau littéraire.

L'histoire en quelques mots : un jeune écrivain africain se trouve confronté à un livre aussi confidentiel qu'énigmatique dont la lecture le subjugue autant qu'elle le paralyse. Son auteur, un compatriote, n'a laissé aucune trace. Il se décide alors de partir à sa recherche.
Dans cette quête, l'auteur nous emporte dans les méandres du temps, de l'espace et de la polyphonie narrative. La langue et sa richesse sont mises en valeur, traversées parfois de fulgurances. Il est question de l'identité culturelle, des enjeux de la création artistique, du Landerneau littéraire.

C'est en voyage que Mohamed MBougar Sarr nous emmène. Et une fois à son terme on s'interroge sur l'expérience que l'on a vécue. Mais comme le dit l'adage, ce n'est pas tellement la destination qui compte.

Elko - Niort - 48 ans - 26 juin 2022


Le labyrinthe de l'écriture 9 étoiles

Si on a le prix Goncourt en main, il est forcément jugé par rapport à ce prix qui est soit critiqué, soit confirmé par les lecteurs.
S’agit-il donc d’un bon cru ? Oui, sans hésitation.

S’agit-il d’un livre facile ? Non, mais beaucoup moins ardu que je ne le pensais à la lecture des critiques lues avant que je me fasse ma propre opinion.

Outre l’histoire, qui reste assez complexe en raison de l’identification des narrateurs successifs que du récit lui-même, on reste dans un schéma qui s’articule et dont on peut démêler l’écheveau au prix d’un effort certain, sans être excessif.

Est-t-on vraiment face à un style pédant ou prétentieux ? Pour moi pas du tout, même si de temps à autre on peut buter sur un mot moins usité. Le style est remarquable et l’auteur n’africanise pas son texte par des expressions ou des vocables locaux. Il fait d’ailleurs une digression sur cette tendance qu’ont certains auteurs sub-sahariens, sans pour autant les blâmer.

Surtout ce livre parle aussi d’un autre livre, de l’écriture et des écrivains et c’est souvent un thème qui m’agrée. Pourquoi écrivent-ils ces auteurs ? On développe aussi des théories et l’histoire offre une réponse originale à cette question.

J’y ai retrouvé parfois l’ambiance fantastique de l’œuvre de Carlos Luiz Zafon « Le cimetière des livres oubliés » que l’auteur semble avoir lu, sans pour autant hurler au plagiat, phénomène sur lequel il fait aussi plus que des allusions dans ce roman.

Je n’ai cependant pas compris le sens du titre de ce livre, mais c’est le seul reproche que j’ose faire à ce grand livre.

Pacmann - Tamise - 59 ans - 17 juin 2022


De l'art de rendre abscons un sujet pouvant être intéressant 2 étoiles

Un écrivain africain nominé au Goncourt, voilà qui augure d'un sujet apportant son lot de découvertes de par un regard immergé sur un univers connu à travers des observateurs extérieurs.
La première surprise réside en ce qu'en fait c'est un regard d'un Africain sur l'Europe. Le sujet apporte aussi son lot d'intérêt toujours de par un regard autre que celui auquel nous sommes habitués.
Intervient alors une seconde surprise. Il ne s'agit nullement d'un regard sociétal mais d'un regard sur le microcosme de la production littéraire, d'un auteur africain reconnu par l'Europe. Quoique beaucoup plus restrictif l'orientation ouvre la porte à un sujet sinon captivant, du moins captant toujours l'intérêt.

Ensuite, tout se complique.
En fait tout se complique dès le début.
On comprend, difficilement, qu'il sera question de retrouver les traces de cet écrivain disparu une fois la reconnaissance offerte. Ensuite... tant l'organisation du récit que le choix d'écriture constituent une énigme ou plutôt deux énigmes.
La première consiste à comprendre ce que veut dire l'auteur. Il n'hésite pas à garder le même pronom, dans le même paragraphe, pour désigner deux intervenants différents. Il part dans des dissertations pseudos philosophiques dans lesquelles on finit par se perdre. Tout est tellement confus, emmêlé que l'on ne comprend plus l'objectif de l'auteur ou alors faut-il voir le cheminement de son esprit et l'accompagner dans ses réflexions et non pas un ouvrage fini, la finalité étant sans intérêt ?

Bien évidemment on croise au fil des pages des scènes de sexe dont la survenance est tout aussi incongrue qu'inutile.

La seconde énigme se trouve dans l'intérêt de ces choix artistiques. L'auteur n'expose, ni ne défend une cause, il ne fait pas découvrir un univers, un contexte, il n'ouvre pas la porte de microcosme méconnu, il n'apporte pas un délicieux moment de lecture. Pas d'évasion, pas de plaisir, pas d'ouverture... Quel est donc l'intérêt de procéder ainsi ?

En conclusion, les Goncourt des deux années précédentes avaient retenu mon attention et mon intérêt. Pour cette année, si le Goncourt revient dans l'esprit initial de récompenser un auteur peu connu pour l'aider à percer, il renoue aussi avec un genre d'ouvrage pour le moins hermétique

Un ouvrage qui doit séduire une intelligentsia dont je ne fais partie et qui doit posséder les clés qui me manquent pour comprendre l'intérêt d'un tel ouvrage qui, au final, n'apporte quelque chose, si toutefois il apporte quelque chose, qu'à un nombre restreint de lecteurs.
Un ouvrage qu'il me semble falloir prendre comme certaines formes d'art moderne, il importe plus par le cheminement qui a conduit à sa réalisation que par le résultat en lui-même.
Si je suis preneur dans l'art plastique, c'est sans moi dans l'art de l'écriture.

Mimi62 - Plaisance-du-Touch (31) - 71 ans - 28 janvier 2022


Retour 5 étoiles

Une belle écriture parsemée de mots inconnus pour la plupart des amoureux de lecture. Complexe, ce livre est fatigant et réservé à une élite ou se prenant pour.
Vu de ma fenêtre les Goncourt par leurs choix risquent de perdre en intérêts pour les éditeurs autant que pour les lecteurs mais de ma fenêtre il n'y a pas une vue très panoramique, surtout depuis que j'ai mis des verres correcteurs...

Antoinel - - 70 ans - 12 janvier 2022


dans le labyrinthe 10 étoiles

Ma fille Lucile, connaissant mon goût pour la littérature africaine, m’a offert pour mon anniversaire le prix Goncourt : "La plus secrète mémoire des hommes", de Mohamed Mbougar Sarr, dont j’avais déjà lu et apprécié "De purs hommes" en 2019 (que j'avais chroniqué ici). Ce roman-ci est plus ambitieux et c’est un des quatre ou cinq "grands" prix Goncourt que j’ai lus. Il est vrai que je n’en ai lu qu’une vingtaine au total, tant beaucoup de livres moyens ou médiocres ont été primés.

Le narrateur principal, Diégane Faye, est un jeune écrivain sénégalais, auteur d’un premier roman, "Anatomie du vide", publié à Paris et vendu à 79 exemplaires. Mais il est considéré comme un écrivain francophone prometteur par la critique. Dans le ghetto parisien des écrivains d’Afrique noire, il réapprend l’existence d’un écrivain sénégalais qui, en 1938, a publié un roman aussi bien célébré que maudit, "Le labyrinthe de l’inhumain" : en effet, son auteur, T. C. Elimane, a disparu complètement de la circulation après avoir été accusé de plagiat.

Dans sa quête, Diégane rencontre une romancière d’origine sénégalaise Siga D., qui connaît bien des choses sur Elimane : le drame de sa naissance et les raisons secrètes de sa disparition. Siga n’est autre qu’une cousine d’Elimane. Elle possède un exemplaire du "Labyrinthe de l’inhumain", le prête à Diégane (qui ne se sépare plus de ce roman qu’il admire et qui lui propose une autre conception de la littérature) et lui dit peu à peu ce qu’elle sait de lui. Elle a rencontré la journaliste Brigitte Bollème qui avait enquêté sur le mystérieux écrivain et publié en 1948 un article : "Qui était vraiment le Rimbaud nègre ? Odyssée d’un fantôme". Elle prétendait soupçonner Elimane d’être à l’origine des morts suspectes de tous les critiques lui ayant été défavorables. Mais personne ne savait exactement ce qu’Elimane était venu faire en Amérique du sud.

Diégane se lance à son tour sur ses traces. Utilisant les renseignements fournis par Siga D, il finit par aboutir au Sénégal, où il retrouve les derniers pas de son idole, hélas mort depuis un an. C’est une des marâtres d’Elimane qui lui raconte les dernières années de ce dernier. Revenu dans son village natal, il a laissé en mourant une lettre pour "l’homme" qui doit venir, ainsi que le début d’un autre manuscrit. Diégane comprend que c’est pour lui.

C’est un roman extraordinairement complexe, mais virtuose aussi. Les personnages sont nombreux, les différents épisodes, découverts dans le désordre chronologique au fil de l’enquête de Diégane, se déroulent du début du XXème siècle jusqu’à notre époque. Le livre change souvent de narrateur ou narratrice, car les nombreuses personnes qui ont connu Elimane racontent tour à tour, souvent à une tierce personne, qui raconte à Diégane. Ainsi apparaît un portrait toujours inachevé du mystérieux écrivain. Après les accusations de plagiat parues dans la presse, il s’était effacé. Quand la guerre arrive, il resta discret puis s’engagea dans la Résistance. S’il parcourut l’Amérique latine pendant une vingtaine d'années après 1949, c’était à la recherche du Mal absolu, l’officier nazi qui avait envoyé l’éditeur juif du "Labyrinthe de l’inhumain" dans les camps de la Mort.

L’écriture est somptueuse, avec de temps en temps un mot rare ; c’est une jouissance de lecture, à condition de rester très attentif aux tenants et aboutissants de l’intrigue. Mais c’est aussi une réflexion sur les pouvoirs de la littérature, un hommage à quelques écrivains éclatants (Ernesto Sabato, Witold Gombrowicz, Yambo Ouologuem, auteur en 1968 du fameux "Devoir de violence", qui semble avoir servi de modèle pour créer Elimane) : on ne parle que de livres, beaucoup de personnages sont des écrivains, le narrateur détaille son rapport à la littérature, sa façon de lire les textes, de les rejeter ou de les admirer : "n’essaie jamais de dire de quoi parle un grand livre. Ou, si tu le fais, voici la seule réponse possible : rien. Un grand livre ne parle jamais que de rien, et pourtant tout y est".

Le roman est ainsi une quête, non seulement à propos d’un livre mythique, mais aussi une quête de soi, à travers l’histoire douloureuse de la colonisation, du choix de la langue pour écrire, une quête parfois aux limites du fantastique, avec la magie de l’écriture, du conte, dans la recherche d’une vérité toujours incomplète, où le lecteur comme l’auteur perd ses illusions et finit par se demander : "écrire, ne pas écrire". Mohamed Mbougar Sarr a-t-il réalisé le rêve de tout écrivain francophone d’origine africaine : "l’adoubement du milieu littéraire français (qu’il est toujours bon, dans sa posture, de railler et conchier). C’est notre honte, mais c’est aussi notre gloire fantasmée ; notre servitude et l’illusion empoisonnée de notre élévation symbolique", dans ce roman qui réfléchit à haute voix sur la littérature ?

En tout cas, ça m’a passionné. J’ai pensé à "Cent ans de solitude", c’est dire si la barre était placée à une grande hauteur !

Cyclo - Bordeaux - 78 ans - 4 janvier 2022