Devouchki
de Victor Remizov

critiqué par Tistou, le 18 novembre 2021
( - 68 ans)


La note:  étoiles
« Les filles » (traduction littérale de « Devouchki »)
Les filles, ce sont Katia et Nastia, deux jeunes femmes dans la vingtaine, élevées et vivant en Sibérie, près d’Irkoutsk, à Beloretchensk, et qui se voient quasi contraintes d’aller tenter de trouver fortune à Moscou faute d’une quelconque opportunité à Beloretchensk (que dis-je ! en Sibérie dans sa globalité).
(D’abord - petit aparté – remarquons que bizarrement Victor Remizov emploie un nom de ville réel ; Beloretchensk, mais qui n’est pas du tout située là où il le dit – c’est-à-dire en pleine Sibérie du côté d’Irkoutsk. Non Beloretchensk est bien plus au sud en Géorgie du côté de la Mer Noire. Il a sûrement souhaité n’embarrasser personne en particulier ?)
Katia et Nastia sont cousines, volontaires et belles mais de caractères résolument différents. Katia plutôt le style «bonne élève», respectueuse, intelligente et introvertie : la pureté et l’innocence incarnées, Nastia, elle, est prête à tout, délurée, sans trop de morale et pressée de parvenir. D’ailleurs si ce n’était la situation inextricable de la famille de Katia (père accidenté qui doit subir une opération au coût exorbitant, frère aîné en prison et pas vraiment de travail disponible), Nastia serait partie seule (mais le roman aurait été moins intéressant aussi !).
On frémit à la pensée de ces deux jeunes belles femmes sans défense débarquant tout à coup à Moscou, sans point d’attache, sans vraiment d’argent … On frémit et on a raison car Victor Remizov nous fait frémir avec cette description d’une ville sans vraiment de limites pour ceux qui détiennent un peu de pouvoir ou beaucoup d’argent. Oui, on frémit et il y a des pages assez dures, mais Victor Remizov ne s’arrête pas à ça et fait vivre l’histoire au rythme de l’enracinement progressif des deux donzelles. Une belle histoire in fine, avec une morale assez évidente.
C’est le second roman de Victor Remizov, après l’incomparable Volia Volnaïa et j’avoue être resté un peu sur ma faim. Mais je sais pourquoi. Volia Volnaïa se déroulait dans cette nature sibérienne indomptée qui était largement une des actrices du roman. Là, il y a bien un peu de cette nature sibérienne mais la quasi intégralité du roman se déroule à Moscou.

Ca commence bien pourtant :
»L’automne était arrivé. Il faisait encore bon, les arbres avaient à peine jauni et la rivière était haute. Les cris haletants des gamins s’élevaient de l’anse et, de l’autre côté, de l’ancien débarcadère, du toit duquel ils se jetaient dans l’eau.
Pourtant l’automne était arrivé. Les mésanges, invisibles durant l’été, avaient fait leur apparition dans les jardins. En entendant leur délicat sifflement, un homme avisé s’appuyait sur le manche de son râteau et contemplait dans le ciel le duvet automnal des nuages mouchetés. »


Et s’il y a des fauves là-bas, à Moscou, ils sont moins attachants et spectaculaires que des zibelines ou des tigres de Sibérie ! Du coup, tout l’effort rédactionnel de Victor Remizov se reporte sur les relations interpersonnelles de Katia et Nastia avec leur nouvel entourage moscovite, et dans le contexte moscovite, pas forcément le domaine où Victor Remizov peut laminer la concurrence. Imaginez un Pete Fromm privé de pouvoir évoquer la nature du Wyoming ou du Montana (facile ! ça s’appelle Comment tout a commencé) ou Jim Harrison sans les grands espaces des grands lacs ? Un peu un tigre auquel on a rogné les griffes !
Pour autant, Victor Remizov continue la mise en évidence des défauts et carences de la société russe actuelle, moscovite ici en l’occurrence. Une société où il ne fait pas bon ne pas être (très) riche.