Le dernier Afghan de Aleksej Viktorovič Ivanov

Le dernier Afghan de Aleksej Viktorovič Ivanov
(Ненастье)

Catégorie(s) : Littérature => Russe

Critiqué par Missef, le 6 février 2022 (Inscrite le 5 mars 2007, 59 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 427ème position).
Visites : 2 381 

Vive le roman noir russe !

Présentation de l'éditeur :
Par amour, un soldat russe démobilisé dérobe le contenu d’un fourgon blindé : ainsi s’achève la longue histoire de la puissante Union des vétérans de l’Afghanistan.

Mon avis :
Grande amatrice de polars, ce n'est pas souvent que j'ai l'occasion d'en lire qui viennent de Russie. Eh bien, mon expérience de lecture du Dernier Afghan m'a donné envie de continuer d'explorer ce domaine. le livre commence par le braquage d'un fourgon contenant la recette d'un centre commercial, braquage opéré par celui qui va devenir le personnage central du roman, car le Dernier Afghan va ensuite s'attacher à nous expliquer les raisons de ce geste, ainsi que ses développements. Signe d'un grand roman, dont la maîtrise est impressionnante, ces raisons, comme ces développements, apparaissent bien vite multiples et capables de prendre le lecteur au dépourvu, pour l'entraîner vers des considérations aussi bien historiques, sociologiques que métaphysiques et qui font de la lecture de ce roman une expérience à la richesse rare. Si Alexei Ivanov a d'autres romans du même acabit à offrir aux lecteurs, gageons que le roman noir russe a le potentiel de détrôner le polar nordique.

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Mafia à la petite semaine

4 étoiles

Critique de Kostog (, Inscrit le 31 juillet 2018, 52 ans) - 13 août 2024

Je ne serai pas aussi laudatif que les critiques précédentes.

Guerman Niévoline dit "L'Allemand", personnage principal du récit, est un vétéran de l'invasion communiste en Afghanistan et de la guerre qui s'ensuivit, l'un de ceux que la population russe surnomme les « Afghans ». Démobilisé, et alors qu'il cherche du travail dans une ville plongée dans les transformations de l'ère post soviétique, son ancien chef Sergueï Likholiétov le contacte. Ce dernier a fondé le « Komintern », une sorte de structure gérée par et pour les Afghans à la fois amicale d'entraide pour anciens combattants et structure devant assurer la survie économique de ses membres par des moyens plus ou moins légaux. Les idéaux d'entraide se fissurent néanmoins assez rapidement brisés par les convoitises des uns et la naïveté des autres.

L'intérêt principal du Dernier Afghan est de donner à montrer quantité de détails révélateurs de cette période qui voit la Russie passer de l'organisation indigente basée sur le non sens des plans économiques du communisme à une absence d’organisation qui semble, de prime abord, encore plus désastreuse.

Le communisme en créant une fausse économie ne correspondant à aucun besoin s'effondre en laissant en berne des millions de personnes confrontées à la réalité de ne posséder aucune compétence dans un monde qui n'a cessé de s'adapter et d'évoluer. Ce que décrit fort bien Ivanov, c'est que la liberté apportée par la chute du communisme ne se manifeste pas par une explosion de créativité et de production de richesses, mais par des comportements de prédation qui voient les plus violents, les plus cyniques et les plus malins tenter de se partager ce qui peut être dépecé et accaparé. Tous les personnages se foutent royalement du bien de la société et ne se démènent que pour leur enrichissement personnel.

Cette radiographie de la Russie post-soviétique centrée sur une ville imaginaire, Batouïev, laisse peu la place au rêve et on est assez frappé par la médiocrité des aspirations des protagonistes du roman. Niévoline, personnage qui est loin d'être antipathique, est désespérément ordinaire jusque dans ses espérances qui sont celles d'une existence heureuse dans une Inde de carte postale. Les figures féminines ne sont guère à leur avantage, étant presque toutes intéressées, un peu mégères, souvent mauvaises, sauf Tatiana, l'amour de Guerman, « éternelle fiancée ». Mais, même cette dernière est, en dépit du malheur réel auquel elle est confrontée, fondamentalement falote et sans relief. Les hommes sont fréquemment violents et imbibés par l'alcool, la fraternité et les revendications des anciens combattants servant de prétexte à la mise en place de rackets qui ressemblent de plus en plus aux activités d'une mafia à la petite semaine.

J'ai trouvé les passages consacrés à la guerre d'Afghanistan parmi les plus réussis. Les atermoiements de Niévoline sont un peu longuets. La conclusion s'apparente à celle d'une série télévisée assez improbable et pleine de bon sentiments.

Quand une société vit trop longtemps dans le faux emploi, que des secteurs entiers de l'économie se révèlent ne posséder aucune pertinence une fois disparu le soutien de l'État, le réveil est dur.

Un roman noir brillantissime

10 étoiles

Critique de Reginalda (lyon, Inscrite le 6 juin 2006, 57 ans) - 16 octobre 2022

J’ai eu l’occasion de lire, il y a quelques années « Le Géographe a bu son globe » du même auteur. Aussi ai-je été très intriguée de découvrir Alexeï Ivanov publié dans la célèbre collection Rivages Noir. Il faut croire que cet auteur est éclectique, me suis-je dit. N’empêche, éclectique ou pas, il fait preuve de la même maîtrise quand il s’agit de narrer les problèmes existentiels d’un professeur de géographie que pour bâtir un roman noir.
« Le Dernier Afghan » est époustouflant, tant sur le plan de la construction du récit que sur celui de la peinture des personnages et encore plus de la peinture d’une société en pleine mutation – prouesse littéraire qui n’est pas à la portée de grand monde.
En décrivant le hold-up commis par son héros, Guerman Niévoline, et ses conséquences, Alexeï Ivanov parvient à faire comprendre au lecteur, notamment français, tous les bouleversements de la société russe depuis les dernières années de l’Union soviétique jusqu’à la fin des années 2000. Il réussit à faire exister, via la ville de Batouiev (apparemment imaginaire, inspirée d’Ekatérinbourg), un monde complexe allant des édiles aux petites gens, en passant par les malfrats et autres mafieux, dont on perçoit sans mal les interactions et les relations d’interdépendance.
Et il ne faut pas croire que le sort des personnages individuels laisse pour autant le lecteur indifférent : Guerman Niévoline est un protagoniste doté de profondeurs et de contradictions, d’autant plus attachant que ses faiblesses deviennent des forces et son amour pour Tatiana ravira présente une échappée vers l’absolu, qui tranche de façon sublime avec les conditions médiocres, voire sordides, où il éclot.
Bref, un roman de très haut niveau.

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