La France goy
de Christophe Donner

critiqué par Poet75, le 26 février 2022
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
De la haine du Juif à la haine de l'Allemand
Gorgé, dans ses cinq cents et quelques pages, de personnages et de faits on ne peut plus réels, cet ouvrage, fort bien documenté, se présente comme un exposé sur l’histoire de France entre les années 1880 et 1918, exposé axé sur les quelques passions qui dévorèrent les esprits de ce temps-là, à commencer par la plus hideuse d’entre elles, l’antisémitisme. Pour ce faire, Christophe Donner s’est ingénié à entrecroiser l’itinéraire d’Henri Gosset, son arrière-grand-père, avec les destinées d’un certain nombre de personnages ayant défrayé la chronique de notre pays, ce qui autorise le terme « roman » appliqué à l’ouvrage. C’est le roman d’une France bien différente de celle que chantait Jean Ferrat, une France traversée de courants haineux, avide de calomnies et de ce qu’on n’appelait pas encore « fake news » mais qui n’en était pas moins déjà d’actualité, une France haineuse et revancharde à qui quelques esprits retors se chargeaient de désigner les boucs émissaires.
Certes, dans le roman de Christophe Donner, on rencontre aussi, au fil des pages et par le biais de quelques personnages, d’autres opinions et d’autres courants que celui que je viens d’évoquer, grâce, par exemple, à Marcelle, institutrice anarchiste qui fut la deuxième épouse d’Henri Gosset, ce dernier, par contre, n’étant pas décrit par l’auteur de manière très bienveillante. Il reste que ceux qui occupent la première place dans le livre, ce sont de bien peu sympathiques individus s’étant illustrés par leur acharnement à dénoncer la présence (selon eux nocive) des Juifs dans la société française puis, à l’approche de la Grande Guerre et, bien sûr, pendant les années de son effectivité, à reporter leur hargne sur les Allemands.
Il n’est pas inutile, à l’heure actuelle, de lire, sous la plume avisée de Christophe Donner, le déroulement de cette histoire pas si éloignée de nous, tandis que des candidats d’extrême droite (ou populistes, appelons-les comme on veut) se présentent à nos suffrages en se démenant pour orienter les débats vers leurs thèmes de prédilection (le soi-disant « grand remplacement » par exemple). Ce genre de rhétorique éculée n’en fonctionne pas moins, malheureusement, toujours trop efficacement. À l’époque que décrit Christophe Donner, ces ténors aux discours haineux se nommaient Edouard Drumont, Léon Daudet ou encore Charles Maurras.
En fait, dans La France goy, il est assez peu question de ce dernier, beaucoup plus des deux autres. Au premier, Edouard Drumont (1844-1917), à qui il faut reconnaître qu’il ne manquait pas de talent quand il s’agissait de manier la plume, l’on doit, entre autres, La France juive, ouvrage de détestation qui devint, assez rapidement après sa parution, un énorme succès de librairie, malgré l’avis très négatif de Zola pour qui il s’agissait d’un « tissu d’imbécillités, d’enflures et lieux communs ». Ce livre pernicieux n’en poursuivit pas moins son emprise et n’en répandit pas moins ses effluves nauséabonds. Cet Edouard Drumont de sinistre mémoire (dont, signalons-le au passage, Georges Bernanos fit l’éloge dans La Grande Peur des Bien-Pensants, essai publié en 1931) continua, jusqu’au terme de sa vie, à diffuser le bouquet hideux de son antisémitisme, entre autres dans La libre Parole, le journal qu’il lança dès 1892.
Le deuxième sinistre individu qu’il faut nommer ici, c’est Léon Daudet (1867-1942), fils aîné d’Alphonse, qui, marqué par le livre de Drumont et, dès lors, lié à lui, préféra, en fin de compte, rejoindre l’Action Française dont il fut l’un des fers de lance les plus actifs. Comme écrit Christophe Donner, « Hors des dogmes, le roman de l’antisémitisme n’est rien d’autre qu’une saga familiale, Drumont en pater familias, Daudet en fils héritier, chargé de la réalisation du projet imaginé par son fondateur. » Cette charge, tandis que Drumont déclinait, il s’en acquitta au sein de l’Action Française, avec ses Camelots du roi (dont fit partie Bernanos !) , accumulant éhontément les méfaits et les roublardises jusqu’à la nausée.
Si certains des faits rapportés, au long des pages, par Christophe Donner sont bien connus (le scandale de Panama ou, bien sûr, l’Affaire Dreyfus), tout en méritant amplement d’être à nouveau retracés, d’autres le sont beaucoup moins, qui pourtant ne manquent pas de piquant. Ainsi de la cabale organisée par Léon Daudet et ses sbires contre la firme Maggi, qui venait de s’implanter en France avec grand succès, avant d’être accusée d’être un repaire d’espions « juifs-allemands » infiltrés en France, ce qui, bien évidemment, n’était qu’un ahurissant tissu de calomnies. On remarquera d’ailleurs que, petit à petit, à l’approche de la guerre de 14-18, les mots « juifs » ou « youpins » furent remplacés par les mots « Allemands » ou « Boches ». A propos de cette abominable et folle guerre, Christophe Donner ne manque pas l’occasion de décrire le comportement bien peu reluisant de Daudet, le chantre de la haine patriotique qui, quand la guerre est déclarée, prend piteusement la fuite jusqu’en Touraine, avant de s’en retourner à Paris en prétendant avoir été victime d’un grave accident d’automobile, transformant ainsi, au moyen d’une « pirouette journalistique » « le fuyard froussard en première victime de la barbarie allemande ». Quand je disais que les « fake news » ne datent pas d’aujourd’hui ! Le livre de Christophe Donner en donne l’époustouflante illustration.