SOUDANITE AIGUË!

En 1898 le capitaine Paul VOULET (1866 – 1899), type même du «bâtisseur» de l’empire colonial français, et le lieutenant Julien CHANOINE (1970 – 1899), fils du ministre de la guerre de l’époque, s'associent pour mettre sur pied une mission d’exploration de l’Afrique centrale, d'Est en Ouest avec comme objectif final – en partant du Sénégal - les rives du Tchad. L’Angleterre (l’autre grande puissance coloniale en Afrique) et la France viennent en effet de juste se partager les terres connues de l’Afrique. Mais, de vastes territoires étant encore largement méconnus, il importe pour la France de les explorer et de les revendiquer au plus vite, afin de s’assurer le contrôle du cœur de l’Afrique.

La mission Voulet-Chanoine quitte donc Bordeaux en Juillet 1898. En septembre, après avoir remonté le Sénégal en bateau, puis traversé le haut plateau mandingue (Sud du Mali actuel), elle se divise en deux groupes. L'un embarque sur le Niger qu'il descendra jusqu'à Say (aujourd'hui Saayi au Sud du Niger sur le fleuve du même nom), l'autre traverse les territoires nouvellement conquis au Burkina Faso, dans la boucle du fleuve. Début 1899, les unités très disparates de la mission (spahis, auxiliaires, tirailleurs soudanais…) passent sur la rive gauche du Niger et marchent à la frontière des possessions encore mal définies des Britanniques au Nigeria.

Bien que les ministres concernés soient sans nouvelles de l'expédition depuis des mois, une étrange rumeur prend corps à Paris… La rumeur d’exactions multiples et aggravées ne cessant d’enfler, les autorités envoient le 20 avril 1899, un officier français au-dessus de tout soupçon, qu'elles chargent d'une mission d’enquête, sur les traces de la mission Voulet-Chanoine. Cet officier, le lieutenant-colonel Arsène KLOBB (1857 – 1899), Saharien de grande valeur, responsable de la garnison de Tombouctou, est accompagné du lieutenant Octave MEYNIER (1874 – 1961) et d'une escorte d’une trentaine d’hommes.
La tâche s’avère ardue, car on a perdu toute trace de la mission, et personne ne connaît sa position exacte. Chemin faisant, il découvre horrifié, dans le sillage de ceux qu'il cherche, une immensité d'horreurs, de cadavres, de violence, de meurtres, de destructions, de pillages, de massacres sans pareil… Commis du fait des méthodes brutales et expéditives de VOULET et de CHANOINE.

Le 14 juillet 1899, après une poursuite de plus de 2.000 kilomètres à marche forcée, KLOBB parvient enfin à rejoindre la mission française à Zinder (aujourd’hui Damagaram au Sud du Niger) - dont il a ordre de prendre le commandement -, le Capitaine VOULET lui fait parvenir une missive. Soit il recule et se retire, soit VOULET déclenche les hostilités. Ne tenant aucun compte de ce qu’il juge être un «coup de bluff», KLOBB poursuit sa route.

Alors, sans aucune hésitation, Le Capitaine VOULET le... Tue!..

Jean-Claude SIMOËN nous offre ici une histoire romancée basée sur des faits réels. Le tout est toutefois solidement étayé par une base très factuelle, l’auteur ayant notamment eu accès à toutes les archives encore existantes sur cette tragédie auprès du Service Historique de l’Armée de Terre.
C’est très bien écrit, facile à lire et à appréhender. L’auteur nous déroule l’histoire de façon chronologique, non sans bien nous remettre dans le «bain» de l’époque et nous en expliquer les tenants et les aboutissants. Cela se lit d’ailleurs d’une traite, un peu comme un roman d’aventures. Si j’ai un point négatif à exprimer, c’est l’absence quasi-totale de cartes et de plans explicatifs. Une seule carte au début du livre se révélant très vite largement insuffisante pour bien comprendre les régions traversées par la mission. Il aurait aussi été bien avisé d’y rajouter une carte actuelle de cette région, pour mieux comprendre comment tous les événements de cette époque, ont façonné la géopolitique Africaine d'aujourd’hui…

Que dire de plus? L’histoire en elle-même est saisissante. Bien que la pratique de la la nécessité de «vivre sur le pays» était chose courante à l’époque, ici l'expédition militaire se transforme tout au long de son parcours. On assiste progressivement à la métamorphose de deux officiers français de haut rang, soi-disant «civilisés», partis explorer l’Afrique… En deux «monstres» assoiffés de sang et de pouvoir, massacrant les populations qui refusaient de leur fournir vivres ou porteurs et ne reculant devant rien, ni personne, pour arriver à leurs fins! Les historiens estiment que la prise de la ville de Birni N'Konni (aujourd’hui au Sud du Niger à la frontière avec le Nigeria), par la mission Voulet-Chanoine, fit 10.000 morts! La perte totale de contrôle des autorités française et des deux officiers qui dirigeaient la mission tourne au scandale. La Chambre des Députés voulant faire au plus vite taire les rumeurs et enterrer le tout, mis les massacres sur le compte de la folie passagère des deux capitaines... Son nom: «Soudanite aiguë»!
Cette épopée fit tellement parler d’elle à l’époque que la légende raconte que l’écrivain anglais Joseph CONRAD (1857 – 1924) s’en inspira pour écrire son plus fameux récit : «Au Cœur des Ténèbres»! (1)

Je finis absolument ébloui par la lecture de ce livre, et consterné par ce pan oublié de l’histoire coloniale française, et ne peut que recommander au plus grand nombre la lecture de cet excellent livre!

(1) : Cf. ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/4212

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  Les fils de rois - Le crépuscule sanglant de l'aventure africaine.

  de Simoën, Jean-Claude
  J.-C. Lattès
  ISBN : 9782709616782 ; 1,55 € ; 17/04/1996 ; 283 p. ; Broché

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