Temps sauvages
de Mario Vargas Llosa

critiqué par Septularisen, le 23 novembre 2023
( - - ans)


La note:  étoiles
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE… CENTRALE!
Si le coup d’état militaire qui renversa le président Salvador ALLENDE (1908 – 1973), démocratiquement élu, au Chili en septembre 1973, est resté dans toutes les mémoires, le rôle exact des États-Unis d’Amérique, et notamment de la CIA, n’est aujourd’hui encore pas exactement connu…

Pourtant, la CIA américaine n’en était pas à son «coup d’essai», puisqu'une «répétition générale» avait déjà eu lieu en juin 1954 au Guatemala, pour écarter du pouvoir le président légitime Jacobo ÁRBENZ GUZMÁN [(1913 – 1971). C'est lui que vous pouvez voir en photographie sur la couverture du livre]. En effet, le jeune dirigeant libéral et progressiste avait lancé une réforme agraire inédite pour faire profiter l’ensemble de la population, et notamment les communautés mayas du pays des revenus agricoles. La multinationale américaine United Fruit, propriétaire exclusive de toutes les plantations de bananes du pays, voit bien sûr cela d’un très mauvais œil, d’autant plus que le Président leur demande maintenant de payer des impôts, puisque l'United Fruit en était dispensée jusque-là grâce à la corruption des dirigeants précédents.

Un projet international de coup d’État se met alors en place, avec à sa tête les plus hautes instances américaines, et l’aide de la CIA... Une gigantesque campagne de désinformation visant à faire passer le Guatemala, son Président et surtout son gouvernement pour des communistes, - disposés à faire de leur pays une base avancée de l'URSS en Amérique Centrale -, est mise en route... Il faut dès lors absolument les éradiquer…

«Temps sauvages», du romancier péruvien et Prix Nobel de Littérature Mario VARGAS-LLOSA (*1936), nous raconte donc cet épisode de l’histoire du Guatemala. Attention, ça reste toutefois un roman, et donc certains évènements racontés dans ce livre sont de la pure fiction.
Disons pour commencer qu’il faut bien s’accrocher à sa lecture de ce livre. En effet, les chapitres ne se suivent absolument pas. L’histoire n’est pas linéaire, mais au contraire très… Disons «mélangée», il y a de nombreux flash-back, sans prévenir le lecteur bien sûr, ainsi p. ex. on lit d’abord ce qui se passe en 1956, puis ce qui se passe en… 1954!
Cela entraîne aussi p. ex. que l’on se retrouve à lire un chapitre qui raconte les évènements que l’auteur viens juste de nous raconter auparavant, mais du point de vue d’un des personnages qui vit l’action…
C’est un peu comme un puzzle qu'il faut reconstituer soi-même! C'est très original de la part de l’auteur mais, cela a comme fâcheuse conséquence de rendre très difficile le fait de bien «entrer» dans le roman, de comprendre qui est qui, et surtout de parfois complètement perdre son lecteur en cours de route…

Il y a aussi le fait que le lecteur s’attend à suivre l’histoire de la vie et l’œuvre du président Jacobo ARBENZ... Raté! Il est bien sûr présent, mais à peine en toile de fond. Pour ensuite carrément disparaître derrière l’histoire et laisser (trop) souvent la place à des personnages secondaires, dont on ne comprend d'ailleurs parfois pas trop ce qu’ils viennent faire là, et surtout pourquoi ils volent la vedette au personnage principal.
Mario VARGAS-LLOSA nous raconte cet événement comme une vaste fresque historique où se mêlent l’histoire (et la réalité historique), la politique, et la fiction romanesque. Nous assistons à un certain nombre de faits ayant réellement existé et croisons de nombreuses figures historiques ayant réellement existé, comme p. ex. M. John Emil PEURIFOY (1907 – 1955), l’ambassadeur des USA au Guatemala, qui participa activement à la chute du gouvernement démocratiquement élu.

Que dire de plus? Gardez bien près de vous votre Wiki. En effet, malheureusement pour nous, M. VARGAS-LLOSA oublie un peu trop vite que nous sommes pas tous spécialistes de l’histoire de l’Amérique Centrale, et que donc beaucoup de noms - dont il nous abreuve, littéralement - nous sont totalement inconnus! P. ex. vous savez vous qui était Juan José ARÉVALO (1904 - 1990)? Ou bien Rómulo BETANCOURT (1908 - 1981)? Il ne faut donc pas hésiter une seconde à aller regarder exactement qui est qui et quel est son rôle dans l’histoire!

Il y a aussi un côté «thriller», ou comment nous exposer la petite histoire dans la grande ou bien encore on pourrait dire l’histoire par le «petit bout de la lorgnette». Elle nous est exposée ici par la très belle Marta «Martita» Borrero Parra, surnommée «Miss Guatemala», une femme dont la beauté n’a d’égale que la dangerosité, l’un des plus beaux personnages féminins de l’œuvre du grand romancier péruvien. Je me suis d’ailleurs souvent demandé si ce n’est pas ce personnage qui est le véritable héros de ce livre. La preuve toute la deuxième partie du livre (très courte toutefois...), lui est entièrement consacrée. En effet, c’est elle que nous verrons tour à tour rencontrer le colonel Carlos CASTILLO - ARMAS (1914 – 1957), mais aussi Johnny ABBES - GARCÍA (1924 – 1967), l’homme de main du dictateur de la République Dominicaine, et même celui-ci, le tristement célèbre Rafael TRUJILLO (1891 – 1961)… Elle est d'ailleurs le seul témoin direct de toute cette histoire encore en vie au moment de la sortie du livre en langue espagnole...

Est-ce que je conseille la lecture de ce livre? Oui, ne fût-ce que pour la magnifique écriture de M. VARGAS-LLOSA! Les portraits qu'il fait des différents personnages sont absolument à lire! Même chose d’ailleurs si vous avez lu le livre «La fête au Bouc» (1) du même auteur, donc ce livre constitue le véritable pendant. Tenez toutefois compte des remarques que j’ai faites plus haut, au risque de finir un peu perdu et très déçu! Sinon, si vous n’avez jamais lu un livre de cet écrivain, et que vous voulez vraiment le découvrir, ce livre n’est certainement pas le bon, car il n'est vraiment pas assez représentatif de son immense talent littéraire…

P. S. : Rappelons que M. Mario VARGAS-LLOSA a été le lauréat du Prix Cervantès en 1994 ( la récompense littéraire la plus importante en langue espagnole), et du Prix Nobel de Littérature en 2010. Au moment où j’écris ces lignes, il est le seul écrivain péruvien à avoir reçu ces deux prix.

(1). Cf. recension ici sur CL : https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/6170