Route vers l'enfer de Daniel Goossens

Route vers l'enfer de Daniel Goossens

Catégorie(s) : Bande dessinée => Humour

Critiqué par Eric Eliès, le 28 mars 2022 (Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans)
La note : 9 étoiles
Visites : 1 968 

Le Père Noël est un dur à cuire !

Avant de composer les deux séries qui l’ont imposé comme un incroyable génie de l’humour parodique et du second degré (à savoir « L’encyclopédie des bébés », en trois tomes, et l’extraordinaire duo « Georges et Louis romanciers » à l'imagination débridée), Daniel Goossens (mon auteur préféré de Fluide Glacial, encore plus que Blutch et Larcenet) avait produit quelques albums assez inégaux, où on ressentait qu’il cherchait encore son style, comme s’il hésitait à donner libre cours à toutes les idées délirantes qui lui passent par la tête (tête plutôt bien remplie d’ailleurs car, à ses heures perdues, quand il ne dessine pas, Goossens est aussi professeur d’université en intelligence artificielle !).

Parmi ces one-shot, mon préféré est ce « Route vers l’Enfer », énorme parodie des films de guerre américains portée un dessin en noir et blanc sublime, qui sait aussi bien composer des cadrages cinématographiques dans les plans d’ensemble que faire passer en gros plan toutes les émotions dans les faciès et les regards. Un vrai festival de visages martiaux, de regards durs et de trognes renfrognées, où chaque case provoque l’hilarité par le mot ou le détail qui tue ! Tous les dialogues sont savoureux tant Goossens a le génie de faire dire n’importe quoi à ses personnages avec la plus grande logique et le plus grand sérieux ! Goossens a également une grande culture et les références (y compris dans les visages aux traits d'acteurs connus) fusent de partout, ridiculisant les clichés et poncifs du cinéma d’action et du film de guerre. La parodie est permanente, rehaussée par un sens de l’absurde et un art du décalage et du non-dit qui confinent au génie. La BD est aussi une satire assez subtile de tous les travers du monde militaire. Tout est parfaitement dosé, savamment maîtrisé et ce qui pourrait s’apparenter à un gros délire sans queue ni tête, courant en permanence le risque de sombrer dans le non-sens, reste, grâce au souci du « détail réaliste » et à la qualité d'écriture des dialogues, une œuvre cohérente dans sa logique subtilement absurde, dont la richesse quasi-inépuisable se dévoile à chaque relecture.

L’histoire est découpée en épisodes, qui s’enchaînent parfois de manière assez décousue mais il y a malgré tout une progression narrative. Dans un monde ravagé par la guerre, quelques officiers rassemblés dans un QG de campagne préparent une offensive au plan machiavélique (attaquer l'ennemi pour le repousser vers les marais où ils mourront des terribles fièvres tropicales transmises par les morsures de crocodiles). Seul un homme semble hésiter : le Père Noël !!! Et si, en face, il y avait des enfants ? Ne pouvant pas tolérer qu’on puisse ne serait-ce qu’envisager de faire du mal à des mioches innocents, le Père Noël s’attire les moqueries de tous ces militaires aguerris au combat. Seul un vieux général, qui en a vu d'autres, et quelques psychologues rassis (qu'on dirait sortis de l'encyclopédie des bébés) semblent maladroitement (Goossens n'est pas pour rien l'auteur de "Introduction à la psychologie de bazar ", tome 2 de Georges et Louis) chercher à comprendre ses scrupules… Perdu dans un monde de brutes en uniforme, où il dénote avec son gros manteau fourré à capuche et sa hotte qu’il ne quitte jamais (même quand il se fait fouetter par un officier sadique bien décidé à punir les mauviettes et à mater les fortes têtes), le Père Noël va montrer à tous qu’il n’est pas un lâche… et, à la fin, c’est sur lui et ses rennes que reposera l’ultime mission, celle de tous les dangers. Il y parviendra, au prix d’un cruel sacrifice ! Et quand, après la guerre, les enfants du centre commercial refuseront de s’approcher de lui, à cause de sa gueule sale et marquée par la guerre, il fuira dans la nuit - en traîneau - et dans un scintillement d'étoiles après un dernier coup d’éclat vengeur en mémoire de Ruby, renne tombé au combat !

Jouant de tous les ressorts du comique (comique de situation, effets visuels - notamment dans l'intensité des mimiques, qu'elles soient expressives ou de marbre - et dialogues savamment concoctés pour être logiquement délirants, y compris les apartés et monologues intérieurs), l’humour de Goossens est particulier mais, quand on l’apprécie, c’est à se rouler par terre !

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