A bas bruit de Daniel Charneux
Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie
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Quiétude et innoncence
Daniel Charneux, je l’ai croisé sur un site de littérature bien connu, un des tout premiers à s’installer sur la Toile, c’est ainsi que j’ai pu le rencontrer, deux fois, à Bruxelles à l’occasion de la Foire du livre. Ce fut un réel plaisir de découvrir l’homme et son œuvre, depuis j’ai eu la chance de lire plusieurs de ses livres : Maman Jeanne, A propos de Pre, Pierre Hubermont, écrivain prolétarien, de l’ascension à la chute (écrit avec deux co-auteurs)… Mais, c’est la première fois que je le lis dans de la poésie où il n’a, selon mes sources, publié jusqu’alors qu’un recueil de haïkus.
Dans chacun de ses livres Daniel raconte l’histoire de personnes qui l’ont particulièrement marqué : la mère dans Maman Jeanne, Steve Prefontaine, un champion de la course à pied qu’il pratique lui aussi mais à un autre niveau, et l’écrivain maudit et oublié, Pierre Hubermont, dont il a essayé de comprendre la dérive extrémiste. Dans ce recueil de poésie, Il évoque aussi les gens qui ont peuplé son enfance et sa jeunesse, qui ont contribué à construire l’homme qu’il est devenu alors qu’il n’était qu’un gamin rêvant d’aventures : « Il aimait les westerns / les bagarres dans les saloons, les carabines à canon scié / les attaques de diligences / Rio Bravo / Fort Alamo / Règlement de comptes à OK Corral… ». Tout comme moi !
Le frère absent occupe aussi une place importante : « … / un frère de sang « à la vie à la mort » / un frère de lait ou un frère lai / un frère trois-points / un frère d’armes ou un faux frères / … ». Les femmes sont elles aussi présentes dans ce temps de la construction : « Il regardait avec curiosité / les dames qui entraient à l’église / et qui allaient s’asseoir à gauche / parmi d’autres dames / dans un enclos à elles réservés // D’elles émanait un grand mystère / à peine dévoilé quand montant à l’échelle/ une fille un peu grande laissait flotter ses jupes ». Mais il y a aussi des fous-rires, des voyages dans les rêves, les chansons, les livres, …, dans un monde réel ou imaginaire. Un monde souvent indéfini « vers la vraie vie / ou vers le rêve », « Il s’est longtemps demandé / si l’extase était réelle ou non », « Elle lui avait donné rendez-vous place de l’étoile / elle n’avait pas précisé laquelle », … » . L’indécision mise en vers.
La poésie de Daniel est fluide comme un ru serpentant dans une nature hospitalière, propre à accueillir les aventures d’un enfant rêveur, les désirs d’un adolescent en plein éveil, les promenades réconfortantes d’un adulte à la recherche d’un peu de calme et de sérénité. Elle est construite avec un vocabulaire riche empli de mots doux et soyeux qui confèrent à ses poèmes une quiétude et une fraîcheur en parfaite harmonie avec le monde qu’il décrit.
Ce recueil me parle particulièrement car j’ai grandi dans un milieu semblable bien que fort éloigné de celui de Daniel. Un véritable bain nostalgique dans mon enfance et mon adolescence.
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Le Montreur de choses passées
Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 8 juillet 2022
En pronommant « il » son porte-parole, le poète s’extirpe de son « je » au profit de « l’autre », dans lequel chacun vient à se reconnaître, qui plus est si l’on est de sa génération. La dimension autobiographique n’exclut pas des échappées vers la fantaisie, vers le rêve.
Dans le premier mouvement de l’ouvrage, Charneux revisite l’enfance, « avant les égarements du corps et du cœur », quand « même la neige où les luges sages / traçaient des destins rectilignes », quand « le sang ne coulait qu’en noir et blanc / et la justice triomphait. » Prédominance du noir et blanc assorti d’un riche nuancier de gris.
C’est le temps où il joue aux cow-boys et aux indiens, dans le costume du peau-rouge, où il fait corps avec la nature, où trouver refuge dans les arbres le rapproche de l’observation des oiseaux, où il lit éperdument avant, plus tard, de devenir « un lecteur ou un liseur / sans vraiment retrouver la joie des premiers âges ». C’est le temps aussi où il espérait avoir un frère, où il apprend ce qu’est le péché et la culpabilité, où il perçoit le « grand mystère » des femmes et où naît son goût de la généalogie quand il réalise la multiplication exponentielle de sa parentèle.
Il rêve d’ailleurs (Brésil, l’autre bout de la Terre, du monde) pour revenir ici, le temps d’un trop court voyage. « Il aurait beau s’enfuir au bout du monde / il reviendrait toujours à soi ».
" Il aimait courir derrière son ombre
…
il lui semblait qu’il aurait pu la suivre ainsi
lentement longuement
jusqu’au bout du monde
jusqu’au bout de sa vie "
Viendra le temps des arrangements avec le réel et avec son existence pour ne pas perdre son âme, auquel il croit encore.
" À force d’attendre
que l’éphémère engendre l’éternel
il avait atteint l’âge d’homme
loin des rivages de l’enfance "
Il est resté, par-devers lui, un observateur du monde, de soi, « filé pas à pas / comme un privé dans un film noir » par « cet autre qui écrivait en lui » jusqu’à noter « ses actions les plus communes / ses plus infimes répulsions ». Ce qui lui fait dresser ce constat :
« Celui qui écrivait / paralysait en lui celui qui voulait vivre »
Nombre de poèmes traduisent un besoin d’être emporté, de se perdre, de s’oublier. La conscience que l’homme, malgré son amour de la vie et son souci de laisser une trace, est voué à retourner en poussière, hante la fin du volume.
Avec À bas Bruit, Daniel Charneux se fait, selon la formule de Mallarmé, le Montreur de choses passées, celui qui se retourne sur l’enfance et la vie accomplie pour faire ressentir le passage du temps.
Si le romancier n’est jamais loin, tapi dans l’ombre du poète, celui-ci se permet des arrêts sur images, sur sensations, non tenu une chronologie stricte des événements, se permettant des licences que le récit ne permet pas toujours pour creuser ses interrogations existentielles, investir un autre territoire littéraire.
D’emblée, Daniel Charneux, avec ce recueil, a trouvé un ton singulier avec une poésie qui se chuchote, se murmure, soit, mais troue néanmoins les murs du silence pour, dans cette chambre d’écho aux soupirs, livrer les blessures qui nous constituent en tant qu’homme, en tant que mortel nourri de mots et de mélancolie.
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