Vade retro, Felicien!
de Francis Groff

critiqué par Saigneur de Guerre, le 11 juin 2022
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Un polar qui se dévore d'une traite !
Vercingétorix, vous connaissez ? Comment ? Le chef gaulois dont Jules César parle dans la Guerre des Gaules ? Heu, oui… Enfin, non ! En fait, « Vercingétorix » est le surnom donné par ses élèves à Eloi Taminiaux à cause de sa chevelure et de sa moustache tombante. Eloi fut longtemps prof d’histoire en secondaire à l’athénée François Bovesse à Namur (Belgique). Aujourd’hui pensionné, il conserve le privilège de pénétrer dans l’établissement et d’y disposer d’un bureau. Eloi va publier un livre qui va éclairer le personnage de Félicien Rops, peintre, graveur et bien d‘autres choses encore, et qui devrait être une vraie petite bombe. Malgré l’heure tardive en ce samedi du mois de janvier et qu’il soit secoué par un vent glacial, il a hâte de préparer sa rencontre avec le bibliophile Stanislas Berberian qu’il doit rencontrer demain matin pour faire authentifier un manuscrit très intime qu’il prétend être de la main de l’illustre Rops. De son bureau part un étroit escalier jusqu’à une cave qu’au cours de ses quarante ans le carrière l’enseignant avait transformée en une sorte d’atelier d’artiste dédié à Félicien Rops, atelier tout à fait vraisemblable, artiste dont il n’avait jamais cessé d’étudier l’œuvre et de la mettre en scène avec ses élèves. Cependant, cette cave est restée secrète ! Nul autre que « Vercingétorix » n’en eut jamais connaissance.
Un jour, en aménageant cette cave, Eloi fit une étonnante découverte : un passage vers un labyrinthe de couloirs et de caves d’un autre bâtiment ! Oh, il n’y avait là que des vieilleries moisies et abîmées, genre chaises d’église, armoires branlantes, documents sans intérêt de l’évêché…
Eloi est venu s’assurer que la farde qu’il compte présenter à son interlocuteur demain est bien en ordre. Il la referme satisfait. Tout y est ! Pour célébrer ce grand événement, il sort la bouteille de prune et le verre ballon. Il remplit généreusement le verre et descend vers son antre d’artiste. Quand il y arrive, l’obscurité est complète jusqu’à ce qu’il allume les deux bougies qui servent d’éclairage à la pièce. Tout est là pour rendre vie à Félicien Rops, même la vieille épée. Eloi, assis dans son fauteuil profite de cet instant magique dans son antre à la gloire du peintre-graveur pour savourer son alcool de prune. Quelque chose vient de bouger… Un humain ? Il s’éloigne instinctivement de l’escalier. Il entend le bruit de l’épée, la lame glissant le long de son support en fer forgé… Il découvre petit-à-petit un homme habillé façon dix-neuvième siècle qui cache son visage d’une main, l’autre tenant l’épée… L’intrus retire lentement la main et… Non ! C’est impossible ! Cet homme ne peut être Félicien Rops ! Eloi se sent mal, il n’arrive plus à respirer… Mais que fait l’individu avec cette épée ? Il ne va tout de même pas…

Critique :

Ah, quel bonheur de retrouver l’écriture de Francis Groff dont j’avais savouré « Morts sur la Sambre » (allez l’acheter, si ce n’est pas encore fait). Il nous revient avec son personnage fétiche, Stanislas Barberian, bouquiniste expert franco-belge, au sens de l’observation très développé, tout comme sa culture, d’ailleurs.
Cette fois, c’est à Namur, là où la Sambre se jette dans la Meuse, que Groff nous balade, rendant l’histoire parfaitement crédible pour qui connaît un petit peu la ville. (D’ailleurs, il me donne méchamment envie d’y retourner pour redécouvrir les lieux qu’il insère dans son histoire.)
Mais Francis Groff ne nous a pas concocté un simple guide touristique ! L’homme est un journaliste qui pousse ses investigations aussi loin qu’il peut. Spécialiste de la mine (de charbon), il a aussi publié un livre sur Albert Frère, l’homme le plus riche de Belgique, aujourd’hui décédé, un livre hélas devenu pratiquement introuvable, publié chez Labor en 1995 : « Albert Frère, le Pouvoir et le Discrétion », un livre que j’ai hâte de lire… Mais il faut d’abord le trouver !
Tout ceci pour vous dire qu’en moins de deux cents pages, l’auteur nous construit une très belle histoire policière avec des tas de références à des événements réels qui se sont déroulés en Belgique et des références historiques qui, ici, nous donnent envie de nous replonger dans l’œuvre très contestée, à son époque, de Félicien Rops. Une incursion dans les milieux d’extrême-droite catholiques traditionalistes nous montre que l’auteur reste un journaliste d’investigation qui se convertit, avec succès, dans le polar. Et puis, il y est aussi fortement question de franc-maçonnerie et un petit peu… d’Alain Delon ! Si ! Si ! Vous verrez ! Et là, ce n’est pas de la fiction !
Ce qui m’est particulièrement agréable dans la lecture d’un livre de Francis Groff, c’est qu’il titille notre curiosité par ses enquêtes tout en nous évitant de longues descriptions de tortures, de mutilations, choses qui paraissent indispensable à de nombreux auteurs de thrillers et de polars actuels.
Francis Groff fait plus d’un clin d’œil à ses collègues auteurs qui publient dans la collection « NOIR CORBEAU » en faisant référence à leurs personnages… Suscitant ainsi l’envie de lire leur prose !
J’aurais pu finir ce livre d’une traite, tellement il est plaisant à lire, si je ne m’arrêtais pour prendre de nombreuses notes et aller jeter un œil sur Internet pour en savoir plus sur des lieux, des personnages, des événements cités dans le roman.

Dernière remarque : il ne faut nullement être Namurois ou Belge pour apprécier ce roman ! L’histoire qu’il raconte est universelle et peut être appréciée dans le monde entier par tout lecteur de romans policiers. Vivement le prochain, « Orange sanguine », qui se déroule à Binche et où, sans le moindre scrupule Francis Groff assassine un Gille et son tambourineur ! Et tout ça en plein carnaval ! Impardonnable ! … Mais n’étant pas Binchou, moi, je l’absous de ce forfait et n’ai qu’une envie, me plonger dans ce roman !
Qui a assassiné ce franc-maçon namurois ? 8 étoiles

Après « Morts sur la Sambre », Francis Groff, le journaliste écrivain sort dans la foulée ce roman qui se déroule cette fois dans la capitale wallonne, accessoirement ma ville natale qui évoque des lieux particulièrement parlant pour moi, dont l’Athénée où a aussi enseigné mon père sans avoir été collègue de ce professeur d’histoire à la retraite et accessoirement victime imaginaire d’un mystérieux assassin.

L’Eglise Saint-Loup, le Rempart de la Vierge, le Casino (et ses petites histoires) , et j’en passe évoquent des images bien présentes de ma vie namuroise que j’ai quittée à l’âge de 25 ans.

Cela m’a aussi fait découvrir l’existence d’activités maçonniques à Namur, milieu où se déroule l’intrigue et qui sont partiellement démystifiées par ce récit. L’œuvre de Félicien Rops est aussi particulièrement bien évoquée, sans oublier la polémique ayant entouré l’acquisition de Pornocratès, achetée dans les années 80 par le musée namurois pour 8 millions de francs belges.

Toujours porté par une plume soignée, ce polar très nerveux, et dont la conclusion va sortir rapidement et miraculeusement grâce aussi à un pouvoir de déduction surhumain de notre héros, le bouquiniste Stanislas Barberian.

Plus crédible que le premier roman quant à l’implication d’un civil dans une enquête, moins tendre aussi au regard des forces de police peu enclines à se remettre en question, le dénouement sort par contre de nulle part comme une solution à une énigme d’un jeu de rôle.

L’effet de surprise ultra positif du premier roman retombe un peu, mais il n’en demeure pas moins qu’on est en présence d’une histoire bien construite et qui se lit d’une traite.

Pacmann - Tamise - 59 ans - 26 mai 2024