Le lys et le serpent
de Níkos Kazantzákīs

critiqué par Pucksimberg, le 12 juin 2022
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Journal d'un amour passionnel
« Le Lys et le serpent » est le premier roman de Nikos Kazantzaki publié à 23 ans. On le connaît surtout pour son roman « Alexis Zorba ». Dans ce premier texte, écrit sous la forme d’un journal intime ponctué par les saisons, le lecteur suit les confidences du narrateur, un artiste peintre fou amoureux de sa chère et tendre. Il se confie à nous, ressent des sentiments très forts à la façon des auteurs romantiques et exprime des envies plus sombres qui unissent Eros et Thanatos, l’amour et la mort comme cela a souvent été le cas en littérature.

Ce texte est très lyrique et rappelle même la poésie en prose. Le narrateur évoque sa passion amoureuse avec de nombreuses images et un langage qui rappelle la poésie du XIXème siècle. On pense parfois à « La cloche fêlée » de Baudelaire ou à « La chambre des amants » du même poète. Cette façon d’écrire peut surprendre par sa forme, mais il ne faut pas négliger le fond car l’auteur aborde le désir, la sexualité, les pulsions de mort, l’amour plénier d’une façon nouvelle et parfois violente. L’on en vient même à douter de son équilibre psychologique. Certaines images sont même très sensuelles, mais l’on ne pourrait ne pas les déceler si l'on lisait trop vite ce roman. De plus, l’auteur grec exploite des métaphores filées suggérées par le titre avec celle du lys et celle du serpent. Ces deux éléments ne représentent pas toujours la même chose dans le roman.

Au début de ma lecture, j’ai cru lire un texte poétique un peu mièvre et lyrique à outrance, mais assez vite le narrateur a ressenti des émotions plus sombres, plus tourmentées et la lecture a gagné en plaisir coupable. Le texte du 23 décembre est l’un des plus beaux, mais qu’est-ce qu’il est sombre ! Le narrateur, de façon extrême, ressent tout de mêmes beaucoup d’émotions que l’on ressent tous. Certaines de ses idées peuvent être envisagées de façon fugace. L’écrivain semble nourri par les poètes du XIXème siècle, par les questionnements littéraires sur le théâtre du monde en doutant de la consistance du réel qui pourrait se confondre avec le monde du rêve … Cette œuvre est alimentée par la littérature européenne tout en affirmant son autonomie esthétique car le narrateur a une vision du désir sans limites.

“Un désir visqueux se traîne en moi et cherche à savoir tous les mots obscènes que Tu connais. Je veux voir les pudiques lèvres se profaner sans du tout que lu rougis sans que Tu hésites avec une bouche savante, un regard effronté et un maintien obscène. Que toutes Tes pensées impures et Tes courbes lascives et luxurieuses montent en une litanie impudente devant la statue d'Astaroth. Nous célébrerons les Priapées de notre amour, ô Malheureuse. Je serai immobile devant Toi et je Te regarderai dans les yeux. Ne me cache rien. Ne me cache rien, crache-moi tous les mots obscènes que tu connais. Peut-être même pourras-Tu me faire sentir quelque plaisir nouveau et inconnu. Le plaisir du mépris et du dégoût et de la profanation d'un amour. Je Te serrerais alors avec l'étreinte des bêtes dans la nuit de leurs ruts. Et je sentirai frétiller entre mes mains quelque chose de moi, une création de ma souffrance, un corps que j'ai façonné, moi, et que j'ai corrompu, moi, instrument charnel infondé de mon chagrin et de la corruption profonde et inguérissable de mon esprit. Je Te serrerai enfin toute entière parce que tu es toute à moi et j'éprouverai enfin sur Toi ce grand sentiment de triomphe qu'éprouvent les grands Conquérants et les grands Destructeurs et les Créateurs !”