Patachou petit garçon
de Tristan Derème

critiqué par Alceste, le 27 juillet 2022
(Liège - 63 ans)


La note:  étoiles
Entre Poil de Carotte et le Petit Prince
Si Tristan Derème (1889 – 1941) est connu comme poète appartenant au groupe des fantaisistes, il faut reconnaitre que ce recueil en prose ne manque ni de poésie ni de fantaisie, grâce évidemment au jeune héros de ces évocations familières : Patachou, six ans, l’âge où l’on explore son univers, où l’on s’ouvre aux nouveautés, où l’on se pose les premières questions et où l’on devient raisonneur.

C’est donc cet enfant à l’esprit « plein de chimères » qui passe un mois chez son oncle à Passy, pendant les vacances de ses parents. Et se succèdent près de cinquante scènes cocasses qui montrent Patachou tour à tour intrigué, amusé, effrayé, rêveur ou dialecticien en herbe. Ce sont les animaux qui suscitent le plus son attention, des plus familiers , comme le lapin, les moineaux ou le cheval, aux plus exotiques comme la girafe ou l‘éléphant. À côté des leçons de choses, Patachou reçoit quelques rudiments de grammaire que ne désavouerait pas un Erik Orsenna, mais également des éléments de latin car le tuteur tient à élever son pupille dans l’amour du beau langage. Les chapitres les plus réjouissants sont ceux qui s’agrémentent d’un savoureux dialogue entre Patachou et la « grande personne », où il n’est pas rare que l’enfant ait le dernier mot.

Cette évocation enfantine par touches successives n’est pas sans rappeler Poil de Carotte, mais le climat de bienveillance du présent ouvrage est loin des terribles humiliations subies par le fils Lepic, et l’oncle, la tante Mathilde ou la bonne servante Rameline n’ont rien de commun avec les sinistres personnages créés par Jules Renard.

Par contre, l’image du Petit Prince se superpose fréquemment à celle de Patachou. Une étude savante * fait même état de trente points de convergence entre les deux œuvres et établit l’ouvrage comme une possible source d’inspiration pour Antoine de Saint-Exupéry. Mais si, dans les deux cas , la candeur enfantine trouve un écho dans le style, celui de Derême est beaucoup plus succulent, souriant, gorgé de références littéraires. Qui, de nos jours, peut passer aussi aisément de Saint-Amant à Eustache Deschamps, de Tristan l’Hermite au poète Scarron ?

Assurément, Tristan Derème se projette tant dans l’adulte, observateur amusé de l’enfant qui grandit, que dans l’enfant lui-même, qui ressemble à l’enfant qu’il a sans doute été, ainsi que le prouve la touchante dédicace qui orne la première page : « A ma mère Et que ce petit Patachou que je lui amène en le tenant par la main lui redise avec gratitude tout le bonheur de mon enfance. »

*https://denisboissier.net/Denis_Boissier/…

Extrait :
- Alors, la patte de l'écrevisse repousse ?
- Oui , mon ami, comme la queue du lézard, si on la lui coupe. Mais les paysans disent que cette aventure amène la pluie.
- Alors, si on me coupait la jambe, elle repousserait ?
- Si tu étais écrevisse…
- Mais la jambe de Patachou ? Non ? … Je voudrais bien être écrevisse !
- As-tu fini de vouloir être, tour à tour, tous les animaux ? Si tu étais écrevisse, tu marcherais à reculons ; tu te cognerais partout, et tu te ferais écraser par les voitures.
- …
- …
- Quand je serai grand, j’aurai de grands troupeaux d’écrevisses. Tous les matins, pour ma nourriture de la journée, je cueillerai cinq ou six mille pattes, je les ferai cuire et je les mangerai. Elles auront repoussé le lendemain.
- Le lendemain ? … Tu vas vite.
- J’aurai de la patience.