Soupe froide
de Charles Masson

critiqué par Laure256, le 2 octobre 2004
( - 52 ans)


La note:  étoiles
changer de regard
J’avais tant entendu parler (en bien) de cette BD, que j’ai voulu me rendre compte par moi-même. Je ne suis pas familiarisée avec la BD en général, et je dois avouer que lorsque je l’ai ouverte pour la première fois, elle ne m’a pas tentée, le dessin ne me plaisait pas du tout. J’y suis revenue quelque temps plus tard, et quand j’ai commencé à la lire, même gêne : dessins sombres, trop de noir, toutes les phrases qui commencent par « putain de… », j’ai cru que j’allais lâcher avant la fin, cette histoire de clochard qui s’enfuit d’une maison de repos parce qu’on lui a servi une soupe froide, et qui va faire trente kilomètres à pied dans la neige, les pieds nus, pour retrouver l’hôpital qu’il avait pourtant fui en refusant de se faire soigner d’un cancer avancé. Mais on me l’avait tant conseillée, louée à grand coup de « génial » que je me suis accrochée, et j’ai bien fait : impossible de rester fermé à cette souffrance, à ce monde de la misère si bien traduit, sans jugement. On la referme en sachant que plus jamais on ne passera indifférent devant un clochard, plus jamais on ne le jugera sur le vin qu’il boit pour oublier le reste et se réchauffer. Oui cette BD est un chef d’œuvre qu’il faut lire, et son auteur, médecin, a su en restituer toute la véracité, avec humanité. Il explique dans une postface comment il l’a écrite : écriture automatique du monologue en quelques heures, puis dessins en 4 mois. Les SDF ont leur propre façon de penser, qui nous heurte souvent, mais face à la solitude et la misère, ils gardent, comme tout un chacun, leur besoin de dignité. Une BD dont on ne ressort vraiment pas intact, et c’est tant mieux !
A table... 10 étoiles

J’ai déjà dit ici le bien que je pense de cet auteur atypique qu’est Charles Masson, raconteur d’histoires en bandes dessinées parce qu’il ne sait pas le faire autrement… Mais après avoir partagé avec vous cet extraordinaire ouvrage Bonne santé qui est d’actualité, sans aucun doute, voici celui qui l’avait fait connaître en 2003…
Je me souviens du festival d’Angoulême 2004… Je venais d’arriver le jeudi midi et, dès le début d’après midi, j’avais rendez-vous avec Charles Masson, un auteur que je ne connaissais pas… J’avais bien lu Soupe froide, mais je ne savais pas commencer l’entretien, tant la bédé était hors normes… Mais l’attachée de presse allait bien m’aider sans le savoir… en me présentant comme journaliste chrétien…
« Moi, Dieu, c’est pas mon truc ! » me dit-il pour lancer la discussion. « Mais mon personnage lance plusieurs fois une tentative de dialogue avec Dieu… J’espère que je ne vous ai pas choqué ! ».
Merci à cette amie qui avait lancé le dialogue sur les choses sérieuses, car Soupe froide est probablement une des bédés mes plus graves que je connaisse…
C’est l’histoire d’un clochard, d’un SDF, comme on dit aujourd’hui, qui quitte sa maison de repos le jour où une infirmière lui sert une soupe froide… et le voilà, pieds nus dans la nuit, à errer pour oublier cet affront qu’il vient de vivre…
« Me servir une assiette de soupe froide. Elle se rend pas compte que ça se fait pas… Pas à un clochard. Connasse d’infirmière. Le seul plaisir d’une soirée, c’est souvent seulement une assiette de soupe chaude. »
Tout le drame – histoire tirée d’un fait réel – est résumé dans ces quelques phrases… Charles Masson va ainsi dessiner, raconter, ce cheminement d’une nuit, en y intercalant des dessins de la vie des «autres», y compris cette … d’infirmière.
Dans cette épopée d’une nuit, il sera question de nourriture, de vie, d’amour, de sexualité mais aussi de Dieu :
« Merde, si y a un Dieu quelque part, il peut pas aider un pauvre type qui marche dans le froid les pieds nus dans la neige. »
Mais de page en page, on est pris d’une souffrance terrible comme si on cherchait à venir en aide à ce pauvre homme qui nous ressemble tant… Finalement, nous pourrions tous être à sa place, cette marche dans la nuit, c’est aussi notre vie sur cette terre que nous ne comprenons pas toujours très bien… En fin de volume, les larmes dans les yeux, nous aussi on se met à refuser ce gaspacho… parce que c’est une soupe froide…
Ce livre est époustouflant et c’est comme une nouvelle page d’Evangile qui s’écrit sous nos yeux… « Tout ce que vous ferez au plus petit d’entre les hommes, c’est à moi que vous l’avez fait ! ». Ah ! Si nous savions tout le mal que l’on peut faire, toutes les blessures que nous causons par inconscience…
En cette période de fêtes, ce type d’ouvrages, sans nous donner mauvaise conscience, nous ouvre, ouvre nos cœurs à un partage plus réel, plus profond… Je dirais que c’est un apprentissage de l’humanisme complet et intégral…
Magnifique ! A avoir chez soi et à prêter et offrir à tous ses amis !

Shelton - Chalon-sur-Saône - 68 ans - 29 décembre 2005