Les Seules
de Claire Genoux

critiqué par JPGP, le 15 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Les nocturnes de Claire Genoux
Claire Genoux est née à Lausanne. Elle y publie en 1997 son premier livre de poésie, Soleil ovale, aux éditions Empreintes. Elle poursuit une œuvre qui explore le deuil et la mémoire, entre présences fugitives et évocations des lieux de l’enfance, marquées par l’hiver et la tombée de la neige. Elle publie aussi des fictions dont le superbe "Lynx" en 2018 aux éditions José Corti. La créatrice n'admet pas les flétrissures voire bien plus que les maîtres laissent aux femmes.

Et "Les seules" sont les prisonnières d’un paysage d’hiver, entre les baraquements, les barbelés, les coups, la neige, les arbres, les corps tombés des wagons. Elles disparaissent, entre les cris des hommes, les fusils et les chiens de guerre. Privées de mère deviennent les jouets de l’Histoire et de sa violence. L'auteure n'ignore rien de leurs supplices, de leur angoisse. Toutes restent à peine des rescapées : juste des survivantes de glaçantes épures aux lueurs d'incendie là où bien des rois Lear n'ont que faire de leurs diphtongues meurtries.

Ces femmes renvoient bien sûr à la Shoah mais l'auteure en étend le cercle. Fantômes que fantômes, les hommes les traversent et "Les seules restent là, à ne peser plus rien que le poids des âmes oubliées entre les arbres." Mais dans une sorte de sourde résistance là où les hommes "ne viennent jamais rechercher ce qui reste" et veulent les arracher à la mémoire, à leur enfance, violer leur passage, franchir leurs sexes et leurs langues, Claire Genoux leur redonne voix. Elle rappelle une porosité pour les chassées de l'histoire générale du monde et la valeur d'usage que celle-ci leur accorde. Existe donc le chant des échouées de divers camps où sont exécutés des sentences en un hiver qui a tant duré que nous ne savons plus dans quel passé gît la honte à venir.

Jean-Paul Gavard-Perret