La fabrique du pré
de Francis Ponge

critiqué par JPGP, le 15 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Texte et pré-texte : Francis Ponge
"La fabrique du pré" est considérée à juste titre comme le premier exemple concret de ce que Ponge nommera sa "méthode créative" d'analyse poétique et génétique. Néanmoins le "Je" tout puissant règne encore sur ce volume publié à l'origine à Genève par Skira dans la collection "Les sentiers de la création". Il n'y doit son entrée - vu sa complexité de mise en espace - qu'à l'amitié du poète et de l'éditeur.

Entre l’essai et le poème, le livre constitue une réflexion originale sur le mécanisme génétique. Dans l’édition Skira de 1971 l'ouvrage est devenu un objet esthétique particulièrement sophistiqué formé de cinq couches textuelles et de l’apport de l’iconographie. S'esquisse une totalité dialectique entre le poème lui-même et la forme étendue de ses états antérieurs et préparatoires. Le jeu des couleurs y est important "matériellement" parlant. Le bis, couleur de la terre, rappelle en principe le creuset nourricier, le vert correspond à l’accomplissement d’une forme de vie, celle du végétal.

A côté du texte définitif, le "dossier du pré" oriente vers l’exposition de la variation comme principe créatif. Sont mises en tension deux représentations de la poésie : celle de la forme achevée, et son long processus de tâtonnements en diverses variations. Ces options prévaudront dans les dernières œuvres du poète. Pour dire les "choses" - de l'huitre au cageot, du savon au pré - Ponge a donc inventé un langage multiple et un. Il est à la fois le référent et aussi un méta-référent. Il se décrit lui-même à propos d'un objet donné. L’ambition réflexive est donc portée au second degré, le « pré-texte » devient la formule du mouvement créateur dont le dossier génétique constitue une des représentations.

Jean-Paul Gavard-Perret