Le dernier livre de Madrigaux de Philippe Jaccottet

Le dernier livre de Madrigaux de Philippe Jaccottet

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Septularisen, le 22 juin 2025 (Inscrit le 7 août 2004, - ans)
La note : 10 étoiles
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«Et je ne sais si c’est le jour ou moi qui perd son sang dans ces eaux nacrées.»

«La lumière n’est plus aujourd’hui qu’un lit de plumes
pour le repos du cœur.

Ah! plutôt, qu’elle vienne, celle qui, même endormie,
la froisserait de sa rosée comme une rose!»

Publié de façon posthume, «Le dernier livre de Madrigaux» est un petit recueil d’une trentaine de poèmes, dans lequel le suisse Philippe JACCOTTET (1925 – 2021) nous parle des grands textes et des grands auteurs qui , - tout au long de sa vie -, lui ont inspiré ses textes et sa poésie. Ces poèmes ont été écrits en 1984, repris et complétés par la suite, ils ont été réunis sous leur titre définitif en 1990.

«Écarte cette lumière qui n’a jamais d’yeux
comme un rideau inutile et entre,
approche, toi qui regardes et qui parles,
plus touchante que l’air d’automne,
plus tendre que toute sa laine et tout son lait.»

«Le dernier livre de Madrigaux» est composé de poèmes en vers libres d’une rare musicalité, très expressifs, qui sont comme un hommage rétrospectif aux grandes œuvres musicales et littéraires du passé, celles qui ont accompagné M. JACCOTTET, tout au long de sa vie…

«Là-bas, les tentes bleues des montagnes
semblent vides.
Qu'ourdissez-vous de sombre sur vos fils,
oiseaux nerveux, mes familières hirondelles ?
Qu'allez-vous, à vous toutes, m'enlever ?
Si ce n'était que la lumière de l'été,
j'attendrais bien ici votre retour.
Si ce n'était que ma vie, emportez-la.
Mais la lumière de ma vie, oiseaux cruels,
laissez-la-moi pour éclairer novembre.»

Le poète fait référence en filigrane dans ce recueil aux nombreuses traductions d’auteurs qu’il a faites tout au long de sa vie, on citera parmi d’autres le grec HOMÈRE (VIIIe S. av J.-C.), les italiens Dante ALIGHIERI (1265/67 – 1321) et Giuseppe UNGARETTI (1888 – 1970), etc… Mais aussi le compositeur italien Claudio MONTEVERDI (1567 – 1643)…

«EN ÉCOUTANT CLAUDIO MONTEVERDI»

«On croirait, quand il chante, qu’il appelle une ombre
qu’il aurait entrevue un jour dans la forêt
et qu’il faudrait, fût-ce au prix de son âme, retenir :
c’est par urgence que sa voix prend feu.

Alors, à sa lumière d’incendie, on aperçoit
un pré nocturne, humide, et la forêt par-delà
où il avait surpris cette ombre tendre,
ou beaucoup mieux et plus tendre qu’une ombre :

il n’y a plus que chênes et violettes, maintenant.

La voix qui a illuminé la distance retombe.

Je ne sais pas s’il a franchi le pré.»

Ce sont des poèmes d’une virtuosité sans égal, toujours sur le mince fil tendu entre l’ombre et de la lumière et chargés de mystère. Ce sont des vers ciselés, intenses, comme «polis» par le temps qui passe, mais surtout par l’âge et l’expérience du poète. On y retrouve bien sûr les thèmes préférés du poète : la mer, les arbres, les fleuves, les voyages, la terre, la mort, le temps qui passe, les amis, la douleur, l’air, l’eau, les couleurs…

«Bleu, vert et rose,

et les figues pendent dans les feuilles comme des fortes cloches
pleines de semence de bélier.»

ou bien encore :

«Vert, rose et bleu,

nouez-vous en écharpe à l’épaule du champion solaire
debout, lance au poing, dans l’arène des moissons.

Celle qu’il sert, pour peu qu’elle baisse les yeux,
lui fera culbuter le vieux squelette ennemi
sous sa cuirasse noire.

Qui, autour de l’arène, sur ces bancs en feu, douterait
que la grâce vivante ne triomphe d’un fagot d’os?

Et, pour trophée, au sourire ambigu
il offrira le funèbre ivoire éclaté sous son épieu.»

Que dire de plus sur cette poésie? Peut-être juste parler de la «douceur» de ces vers, et de la beauté de ses métaphores? Je vous laisse juge:

«Mais que va-t-il comparer aux froides figures du ciel?

Parle à sa place, corps, toi qui la comprends mieux :
murmure que c’est au contraire comme si
le Cygne insaisissable entrait enfin dans notre chambre
et qu’ils nous eût frôlé de son regard ou de ses plumes…»

Si vous n’avez jamais rien lu de Philippe JACCOTTET, si la poésie n’est pas votre «Tasse de Thé», je ne peux que vous conseiller de lire ce court recueil, et de vous laisser emporter - ne fût-ce qu’un court instant - par la beauté de ces vers…

Regardez les martinets:
Ils sont autant de traits de fer forgés dans les murs,
décochés vers les quatre angles du ciel
quand tombe le soir d’été.

Alors, je crois entendre le vieux musicien,
forgeron, lui, de volutes et de flammes,
pour la dernière fois peut-être supplier:

«Belle archère, détournez de moi votre arme,
que je ne pâlisse ni m’effondre comme ces nuées.»

Ou ne seraient-ils pas plutôt, ces oiseaux, des hameçons jetés
pour retenir par ses écailles juillet trop fuyant?

Et lui d'écrire encore, sur les dernières portées,
peut-être, de sa vie :
«Telle inconnue pêchant dans sa barque légère
m'a ferré moi aussi.
Si j'ai cru doux d'abord d'être sa proie,
maintenant le fer tire sur mon cœur
et je ne sais si c’est le jour ou moi qui perd son sang
dans ces eaux nacrées.»

Parmi la pléthore de prix récompensant l’œuvre de Philippe JACCOTTET, citons entre autres : Le Grand Prix de Poésie de la SGDL 1998 ; le Prix Goncourt de la Poésie 2003 ; le Prix Mondial Cino-del-Duca 2018.
Son nom a été proposé a de nombreuses reprises pour le Prix Nobel de Littérature.

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