Le dernier loup
de László Krasznahorkai

critiqué par Septularisen, le 10 janvier 2023
( - - ans)


La note:  étoiles
LASZLO KRASZNAHORKAI… EN UNE SEULE PHRASE!
Au début du récit, nous faisons la connaissance d’un ancien professeur de philosophie allemand (dont l’auteur ne nous dira d’ailleurs jamais le nom…), désabusé et décadent. Il ne fait plus rien de ses journées, si ce n’est s’accouder au zinc du Sparschwein, un bar de la Hauptstrasse de Berlin, et de boire une bière Sternburger.

Face à lui, un barman hongrois l’écoute avec lassitude, d’une oreille distraite et plus ou moins d’attention. Le professeur lui fait le récit de son voyage en Estrémadure (Espagne), dans la ville de Cáceres. Il a été invité sur place par une mystérieuse fondation pour écrire un article sur cette région. Pour cela, il sera payé, voyagera en avion, logé dans un hôtel cinq étoiles, nourri, traité avec les plus grands honneurs, avec à sa disposition un traducteur et une limousine avec chauffeur.

Pensant à une plaisanterie, ou à une erreur sur la personne, le professeur accepte et se rend en avion à Madrid…

Voici donc une bien étrange nouvelle de l’écrivain hongrois Laszlo KRASZNAHORKAI (*1954), puisque c’est un véritable exercice de style qu’il nous propose ici. En effet, toute cette nouvelle (un peu plus de 70 pages) tient en… Une seule phrase! Il n’y a en effet pas de paragraphes, pas de points, pas de majuscules… C’est comme un seul jet, une seule tentative, jetée sur la table, ou plutôt devrais-je dire donnée à lire aux lecteurs. Cela ressemble quelque part aux livres du «nouveau roman» français, et notamment à ceux du Prix Nobel de Littérature, Claude SIMON ( 1913 – 2005). Ce n'est pas le premier livre de cet auteur que je lis qui est écrit de cette manière (1), mais, il faut avouer, qu'ici c'est vraiment poussé aux limites de ce que peut permettre l'imagination créative d'un auteur.

Que dire de plus sur cette nouvelle? De façon presque imperceptible, la phrase déplace le récit dans le temps et l'espace, sans que le lecteur ne s’en aperçoive vraiment, et ainsi l’histoire suit son cours. Le lecteur se retrouve de cette manière happé par le récit et ne peut en sortir qu’à la fin du récit. Il faut aussi dire que le phrasé est sublime, et l'auteur nous emporte exactement là où il veut!

C’est aussi une sorte de réflexion philosophique sur la pensée et ses limites, mais peut-être surtout un questionnement sur l’écologie et la cause animale. L’auteur ne fait malheureusement qu’effleurer les sujets, mais bon, on ne peut guère lui en demander plus en si peu de pages.
D’ailleurs, si j’ai un seul reproche à faire à ce livre, c’est justement son manque d’ampleur, d'ambition, qui entraîne une fin ratée, trop précipitée, trop brusque. On aurait aimé en savoir un peu plus sur l’histoire et avoir une conclusion digne de ce nom et un peu moins convenue. Mais l’écrivain hongrois nous prive, - sans doute intentionnellement, pour nous forcer à faire appel à notre imagination -, de ce plaisir!

C’est malgré tout, - comme toujours avec M. Laszlo KRASZNAHORKAI -, un très beau texte, très bien écrit, qui se lit d’une traite, sans discontinuer, avec un véritable plaisir à la lecture. Que demander de plus à un livre?..

(1) : Cf. sur CL la critique du livre «Guerre & Guerre», ici : https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/46911