Point de passage de Kōnstantínos D. Tzamiṓtīs

Point de passage de Kōnstantínos D. Tzamiṓtīs
(Το πέρασμα)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Cyclo, le 16 janvier 2023 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 79 ans)
La note : 9 étoiles
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Une petite île grecque et les migrants

"Point de passage" est le récit d'un naufrage sur les rochers d'une petite île de la Mer Égée ; d’habitude cette île récupérait des petites embarcations de migrants, mais cette fois-là, par une nuit d’hiver très froide, c’est une tempête effroyable qui jette à la mer sur les rochers un assez gros bateau, il y aura 300 à 400 naufragés sur cette île qui n’a que 130 habitants. Ceux-ci viennent assister à la catastrophe et secourir les survivants ou ramasser les cadavres. Le temps est glacial, il faut réchauffer les rescapés, hommes, femmes et enfants, les abriter dans le gymnase, les nourrir, les habiller même. Comment faire ? Il y a là le maire qui téléphone pour demander du secours au préfet de la grande île voisine, un médecin stagiaire (pas de poste fixe pour si peu d’habitants, mais des jeunes volontaires qui n’y restent que six mois), le pope, la police et quelques fonctionnaires ; les habitants se sentent impuissants devant un tel désastre. 

Plusieurs même se découragent devant l’accumulation de ces naufrages : "voilà trop longtemps que ça dure. Je ne peux plus faire semblant d’être forte, ni pour eux, ni pour qui que ce soit. Et je ne vais pas m’excuser d’avoir un toit au-dessus la tête et de manger à ma faim. Il faut que je pense à moi", dit une femme. L'île ne dispose que de peu de réserves de nourriture et la tempête qui dure ne permet pas de compter sur des secours rapides. Même le pope craint des problèmes : "Et ces pauvres gens sont si désespérés que je doute qu'ils soient encore en mesure de respecter les lois humaines et les lois divines. À nous de rester vigilants". Le capitaine de marine retraité rappelle que la loi de la "mer est claire : un homme qui échappe à la noyade est un homme à qui on doit les mêmes soins et la même attention qu'à son frère."

Les réticences des uns et des autres sont balayées : on vide les armoires pour vêtir les naufragés, on prépare une soupe chaude, des pains, on règle la discipline dans le gymnase où il n’y a pas de commodités, où la distribution de repas menace de tourner à la foire d’empoigne.

Je n’en dis pas plus sur ce roman choral où l’auteur s’intéresse aux réactions des îliens, une partie d’entre eux étant des exilés, chassés d’Anatolie, ils ont connu la misère en arrivant ici. Beaucoup sont vieux, les jeunes sont partis trouver du travail à Athènes ou en Allemagne. Là, la question qui se pose devant un tel afflux dans la tempête, c’est comment cohabiter ! "On ne pourrait jamais supporter tout ce monde", dit le maire, sans doute exaspéré par ces naufrages incessants et par la difficultés avec ses supérieurs. Au point qu’un vieil homme lui réplique : "C'est les maisons vides qui manquent ? Ou les champs de blé en friche qui ne vont pas donner de pain ? Qu'on les confie à des gens qui n'ont pas peur de travailler, et tout ça va revivre."

C’est un livre assez bref, mais qui nécessite une grande concentration de lecture, à cause du grand nombre de personnages, et du fait que l’auteur donne successivement d’un chapitre à l’autre la parole aux uns et aux autres, naufragés aussi bien qu’îliens, multipliant les points de vue, ce qui nécessite d’être vigilant pour ne pas se perdre dans ce foisonnement ou cet éparpillement. Dans cette fresque comportementale, l’auteur nous montre des faits, des conversations, sans jugement de sa part, et nous fait réfléchir à la problématiques des migrations qui vont sans doute s’aggraver avec le dérèglement climatique.

Un très bon roman...

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