Vareuse-Blanche ou Le monde d’un navire de guerre
de Herman Melville

critiqué par Poet75, le 24 janvier 2023
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
La vie à bord d'un navire de guerre
En 1850, quand il fait paraître Vareuse-Blanche, Herman Melville (1819-1891) n’a pas encore écrit ce qui deviendra son roman le plus célèbre, Moby Dick, qui sera publié l’année suivante, en 1851, mais il est déjà l’auteur de plusieurs récits de voyages, en particulier dans les mers du sud, entre autres Omoo (1847) et Mardi (1849).
Cependant, le propos auquel notre auteur se livre dans Vareuse-Blanche est véritablement singulier : en s’inspirant de sa propre histoire, lui qui, en 1843, intégra l’équipage d’une frégate de guerre américaine en tant que gabier, Melville se fait fort, dans ce roman copieux, de raconter jusque dans ses moindres détails, ce que fut la vie à bord d’un navire de guerre des États-Unis à cette époque-là. Tous les aspects en sont donc minutieusement explorés, sans que cela ne devienne jamais rebutant. Au contraire, l’on a affaire à un conteur de premier ordre qui sait fort bien captiver le lecteur, tout en rédigeant un document de choix sur un mode de vie très particulier.
Disons un mot du titre tout d’abord, qui s’explique parce que tout matelot naviguant sur un bateau de guerre amené à sillonner les mers, sous tous les climats, et, parfois, à affronter des tempêtes, se doit, s’il veut survivre aux aléas climatiques, de se confectionner une vareuse le protégeant le mieux possible des rigueurs. Or, pour son malheur, le narrateur, qui est l’alter ego de Melville, ne parvient à fabriquer sa vareuse qu’au moyen d’un tissu de couleur blanche, faisant de lui le point de mire de tout le bateau, tissu que, qui plus est, il n’arrive pas, malgré tous ses efforts, à imperméabiliser. Ce vêtement, indispensable à sa survie, sera néanmoins l’un des cauchemars de son voyage.
Il y en a d’autres, comme les tempêtes qui mettent le navire en péril, avec, pour point d’orgue, le terrible passage du Cap Horn, redouté par tous les marins de ce temps-là. Melville excelle à décrire ce genre de scènes, mais son ouvrage trouve sa force la plus grande ailleurs, dans la description précise de toutes les facettes de la vie à bord. Sur un navire, tout est différent que sur la terre ferme. La vie s’y organise autrement, avec ses règles propres, ses lois, sa justice et ses injustices, son organisation, sa hiérarchie. Tout en en étant l’un des acteurs, Melville, par la voix de son narrateur, se fait l’observateur de ce monde-là, ne se privant pas d’en décrire jusqu’aux aspects les plus sordides ainsi que ceux qui le révoltent profondément.
Tout lecteur de cet ouvrage sera, sans nul doute, impressionné par la vigueur avec laquelle l’auteur dénonce les châtiments auxquels peuvent être condamnés des marins pris en faute, en particulier lorsqu’ils sont punis par le fouet, le terrible « chat à neuf queues » dont on se sert sur ces bateaux. Pour le narrateur (et donc pour Melville), rien ne peut justifier un tel supplice, il le dit et le répète avec insistance. Son regard n’est pas pour autant complaisant envers les marins, ses compagnons de bord, et il admet que leur conduite est parfois répréhensible. Il y a même, dans les recoins du navire, des individus qui se livrent à des actes qui le répugnent.
Tous les membres de l’équipage, le narrateur les passe ainsi en revue, depuis le sommet de la hiérarchie jusqu’aux marins les plus obscurs, en passant par toutes les spécialisations plus ou moins indispensables à la vie du bord, cuisiniers, magasiniers, médecin, barbier, etc., etc. Mais, au-delà d’un témoignage aussi précieux, ce livre est parcouru par une aspiration des plus louables : mettre fin aux injustices.