Volontaires pour l'échafaud de Vincent Savarius
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La chronique de Froissart
Dans le tome 3 de Soixante ans de journalisme littéraire, somme publiée en novembre 2022 par les Editions Maurice Nadeau, portant sur Les années “Quinzaine littéraire” (1966-2013), Maurice Nadeau évoque et commente l’ouvrage de Bela Sàndor Szasz, alias Vincent Savarius, intitulé dans sa traduction française "Volontaires pour l'échafaud ».
Voici un extrait de ce qu’en dit le célèbre critique :
« S’il planait encore un mystère sur les Procès de Moscou, on savait déjà par l’admirable livre de Savarius sur l’Affaire Rajk que tout le système reposait sur un truc, une astuce enfantine : amener l’accusé à collaborer avec son juge instructeur, de façon qu’ils fabriquent tous deux ensemble un produit qui s’appelle l’aveu. Savarius avait refusé de jouer le jeu et, finalement, s’en était miraculeusement tiré. »
L’ensemble des commentaires de Nadeau incitant à la lecture de l’ouvrage résumé dans cet extrait, il convenait qu’on s’en procurât un exemplaire. On a pu en retrouver un, d’occasion, l’édition initiale étant épuisée. On ne l’a pas regretté.
Bela, auteur, narrateur et victime historique des purges ayant décimé en 1949 une partie des hauts dirigeants du Parti Communiste hongrois, reconstitue les différentes étapes des « procès préfabriqués », arrestations, incarcérations, mises au secret, interrogatoires, tortures, planifiés par le sinistre Màtyàs Ràkosi, secrétaire général du Parti Communiste puis du Parti des Travailleurs, pratiqués par les membres de la non moins sinistre AVH, acronyme du hongrois Államvédelmi Hatóság, soit en français Autorité de Protection de l’Etat, et ayant abouti à un nombre important d’exécutions.
Ces procès, commandités et supervisés par les autorités soviétiques dont les agents participent secrètement à une partie des interrogatoires menés dans des lieux strictement clos et ignorés du public, ont pour objectif de discréditer la politique mise en œuvre en Yougoslavie par le camarade Tito, accusé d’hérésie par le Kremlin pour avoir déclaré sa non allégeance aux directives staliniennes, et de dissuader à tout jamais les communistes hongrois de suivre ce fâcheux exemple de scission au sein de la sphère soviétique.
La force du texte tient au fait que l’auteur est acteur malgré lui, et l’un des principaux protagonistes de cette farce tragique. Chef, à partir de la fin de 1848, du Service de Presse et d’Information du Ministère de l’Agriculture, il est arrêté en mai 1949, à son profond abasourdissement, à la porte de son bureau.
Emmené en voiture, un bandeau sur les yeux, dans un bâtiment pourvu de cellules, déshabillé, fouillé, insulté, il est dans la foulée conduit devant un collectif de cinq hommes présidé par Gàbor Péter, chef de la police politique.
« Ce dernier me regarda sévèrement et me demanda :
-Pour quelle organisation d’espionnage avez-vous travaillé ?
-Non, mais…répondis-je en éclatant de rire.
En effet, ce tribunal trônant à une table en forme de T paraissait assez comique, il ne me vint même pas à l’esprit de prendre au sérieux la question de Péter.
[…]
Je lui répondis en le tutoyant :
-Gàbor, ne me fais pas rire…
-Nous verrons bien qui rira le dernier, s’écria Gàbor Péter en bondissant de sa chaise… »
Cette scène absurde marque le début de longs mois d’un calvaire au cours de quoi ses bourreaux tentent vainement de lui faire avouer qu’il a, en relation avec le principal accusé, son ami de longue date Làzlo Rajk, ministre de l’Intérieur et des Affaires Etrangères, fait partie d’un réseau d’espionnage contre son pays, au service de l’activisme américano-titiste et de l’impérialisme occidental œuvrant pour la fin du communisme et la restauration du capitalisme en Hongrie en particulier et dans la sphère soviétique en général.
Rajk et la plupart des co-accusés finirent par se laisser convaincre qu’en avouant publiquement ils serviraient la cause du communisme et qu’ils seraient ensuite libérés et même honorés pour cette marque insigne d’engagement. Portés donc par cette intime conviction, inculquée par d’innombrables séances d’interrogatoires ponctuées de tortures et de lavage de cerveau, que leur procès conforterait le Parti, ils firent « l’aveu », avec un nombre incroyable de détails qu’on leur avait fait apprendre par cœur, au cours d’un procès public retentissant, de crimes qu’ils n’avaient pas commis. Inconsciemment volontaires pour l’échafaud, ils furent évidemment exécutés peu après pour haute trahison.
Bela, parce qu’il n’a jamais voulu, malgré d’horribles sévices répétés et des menaces de mort à l’encontre de sa personne et des membres de sa famille, échappe grâce à une exceptionnelle force de résistance et une pleine lucidité quant aux visées et aux promesses de ses tortionnaires, à la fois au procès public et à la peine capitale. Condamné à 10 ans d’incarcération par un tribunal secret, il sortira de prison en 1954.
Deux ans après les procès de Budapest eurent lieu ceux de Prague, dans lesquels se retrouva piégé à son tour dans les mêmes circonstances et pour les mêmes motifs fallacieux Arthur London qui publiera en 1968 L’Aveu, récit qui servira de fondement au célèbre film éponyme de Costa-Gavras sorti en 1970.
Les deux témoignages se complètent, se superposent, dans leur dénonciation, par deux auteurs qui les ont subies, des mêmes méthodes utilisées pour des purges politiques de masse sur le modèle de celles orchestrées par Staline. Il convient d’ajouter qu’à Budapest comme à Prague le choix des principales cibles des procès préfabriqués se fit sur fond nauséabond d’un antisémitisme non avoué mais historiquement établi.
A lire ou à relire, à la fois pour la qualité littéraire que traduit clairement la version française, et pour le travail d’historien qui accompagne, encadre et recadre les éléments biographiques.
Patryck Froissart
Plateau Caillou, mercredi 30 novembre 2022
L’auteur :
Vincent Savarius (Bela Szasz)
Vincent Savarius est le pseudonyme de Béla Szasz (1910-1999). Né dans une famille prospère de Szombathely (Savaria en latin…) il entame ses études universitaires à Budapest en 1928, fait de la prison et part pour Paris en 1937 où il suit des cours à la Sorbonne, travaille comme assistant metteur en scène de cinéma (notamment pour Jean Renoir) et fréquente les milieux d'extrême-gauche. En 1939, un contrat de cinéma le fait partir en Argentine, où la guerre le surprend. Il y reste sept ans, militant dans des organisations antifascistes. Il rentre à Budapest en 1946. En 1948, il est chef du Service de presse et d’informations du ministère des Affaires étrangères puis de celui de l'Agriculture. En mai 1949, il est arrêté ; jugé secrètement en 1950, il est condamné à 10 ans de prison. Libéré en 1954, il refuse tout poste dans l'administration et devient traducteur. Il quitte la Hongrie fin 1956 après le soulèvement de Budapest et vit à Londres, où il travaille notamment pour les émissions en hongrois de la BBC
Les éditions
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Volontaires pour l'échafaud
de Savarius, Vincent
Julliard
ISBN : SANS000064789 ; 01/01/1963 ; 317 p.
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