Les longueurs
de Claire Castillon

critiqué par Cyclo, le 3 février 2023
(Bordeaux - 79 ans)


La note:  étoiles
remarquable mais dur
Dans Les Longueurs, Claire Castillon nous conte le calvaire de Lili, victime depuis l’âge de huit ans des abus d’un ami de sa mère, qui devient quasiment son beau-père. Sous couvert de l’emmener à son cours d’escalade qu’il encadre, Mondjo (surnom de Georges) profite de l’innocence de Lili. Ce n’est qu’à quinze ans qu’elle commence à comprendre que la situation est anormale et qu’elle ose se confier à une amie. Comment la mère qui a bien perçu le mal-être de sa fille de quinze ans ("Tu es fermée comme une outre, me dit maman. Toute floue, Lili. Et puis fuyante. Il se passe quelque chose, dis-moi. On t'a fait un sale coup ? Je peux t'aider ?") peut-elle imaginer qu’elle est depuis longtemps la victime de cet ami ? Ce roman donne des sueurs froides : il alterne scènes actuelles et retours en arrière (tout cela raconté par Lili, âgée de 8, 10, 12 ans, etc. avec ses mots d'enfant) qui montrent ce que la naïveté de l’enfant ne lui permet pas de nommer ; ça fait froid dans le dos, tant les angoisses plongent Lili dans un gouffre sans fond. Il faut qu’elle parle, mais n’y parvient pas.

L’auteure montre avec délicatesse comment s’installe l'emprise d’un adulte pour profiter des faiblesses d’une petite fille : elle a huit ans quand ça commence ! L’absence du père de Lili, parti aux USA et remarié, y est pour beaucoup. Car l’enfant Lili trouve en Mondjo un ami qui approuve, un confident affectueux, un entraîneur sportif complaisant, presqu'un second père. Il lui fait jurer le secret et la gamine n’est pas en mesure de comprendre quand Mondjo commence à se livrer à des abus sur elle. Il lui fait croire qu'ils sont amoureux, qu’ils vont se marier, que c'est normal, pour un enfant qu’un supérieur (un adulte) lui indique la vérité sur l'amour corporel, mais que c’est leur secret à tous les deux. Ce n’est que plus tard, que son inconscient pressent que ce n’est peut-être pas normal et qu’elle est une victime. Elle n’est pas la seule : dans sa postface, l’auteure rapporte qu’en France, une jeune fille sur cinq subit une agression sexuelle et 165.000 enfants chaque année. C’est un roman paru dans une collection pour ados, et je pense qu’il faut accompagner un ou une ado dans ce genre de lecture. Mais bien des adultes pourraient le lire, malgré le malaise et la colère que cette lecture procure. Il y a de fortes probabilités que chacun de nous ait connu au moins une de ces victimes et un de ces prédateurs.

Il n'y a pas de sujet tabou ! Même en littérature pour la jeunesse...