Kafka, le temps des décisions - Tome 1
de Reiner Stach

critiqué par Sonic, le 14 décembre 2023
( - 41 ans)


La note:  étoiles
Kafkaïologie
Ce tome 1 qui traite de la vie de Kafka de 1910 à 1915 comporte de nombreuses digressions. Je m'attendais à lire une biographie passionnante, l'auteur allemand s'est plu à écrire des chapitres entiers sur la famille Bauer, la guerre des Balkans, la Grande Guerre. Kafka disparaît presque pour laisser place à l'histoire de la monarchie austro-hongroise (sans carte pour nous aider à savoir où se trouvait la Galicie par ex) ou à Stefan Zweig. La psychanalyse freudienne revient souvent, comme si le biographe cherchait à combler le manque d'information par des propos sur la sexualité.
300 pages au lieu de 900 auraient été suffisantes car dès le début on comprend que Kafka menait une vie monotone, ascétique et vivait chez ses parents. Or chaque détail intime est scruté, chaque névrose est disséquée, chaque lettre de Kafka à sa fiancée est rapportée. Un professeur de lettres ou un psychanalyste appréciera peut-être, mais cela semble trop pour le lecteur lambda.
On pourra souffler un peu grâce aux nombreux documents insérés dans l'ouvrage : cartes postales, photos, affiches. Là également, Stach émet l'hypothèse que Kafka sourit d'une certaine façon sur la photo avec sa fiancée, ce qui tourne à l'interprétation.
Par ailleurs, le livre comporte des fautes, le traducteur semble avoir eu du mal avec les longues phrases de 10 lignes... Une erreur sur l'âge des parents n'a pas non plus été corrigée : ils ne peuvent pas être "bientôt septuagénaires" (p 219) en 1912 quand Kafka, aîné d'une fratrie de 4 enfants, a 29 ans. Après vérification, le père est né en 1852 et la mère en 1856, ils ont donc respectivement 60 et 56 ans en 1912.
Je referme donc cette biographie sans la motivation de la poursuivre avec le tome 2. S'immiscer ainsi dans la vie intime et la correspondance personnelle de Kafka ne m'a pas vraiment plu.
Une biographie de référence 9 étoiles

Peu connu de son vivant et pour cause, puisqu’il ne fit publier lui-même qu’une petite partie de son œuvre (quelques courtes nouvelles ainsi que La Métamorphose et Le Verdict), Franz Kafka (1883-1924) n’en est pas moins devenu, au fil du temps, une sorte de mythe littéraire, moyennant tout ce que ce statut peut comporter d’idées toutes faites sur ce que fut cet homme. Le travail auquel s’est livré Reiner Stach s’avère, par conséquent, extrêmement précieux car il nous restitue, autant qu’il est possible de le faire, la vie et la personnalité « réelles » de Kafka.
Publiée en Allemagne entre 2002 et 2014, la monumentale biographie écrite par Reiner Stach vient de paraître chez nous, en traduction française. Elle se compose de rien moins que trois gros volumes dont voici le premier, qui couvre les années 1910-1915. Le deuxième volume explore, lui, les années 1916-1924 et le troisième volume l’enfance et l’adolescence de Kafka. Pourquoi ne pas avoir respecté strictement la chronologie ? Sans doute pour mieux, d’emblée, confronter le lecteur à la période la mieux documentée de Kafka, celle qui permet, étant donné l’abondance des sources auxquelles on peut se référer, d’appréhender avec le plus de justesse l’individualité profonde de l’écrivain.
Cette période, en effet, est celle où Kafka, d’une part, commença de rédiger son Journal et, d’autre part, entretint une correspondance de quelques cinq cents Lettres avec Felice Bauer, sa fiancée de Berlin (avec qui il ne se maria jamais, d’une part du fait de ses propres atermoiements tout comme de ceux de Felice, d’autre part à cause de la survenue de la Grande Guerre – à laquelle, d’ailleurs, Reiner Stach consacre des pages parmi les plus saisissantes de son livre). Et puis, c’est vrai, comme l’écrit Reiner Stach, « Franz Kafka est le grand célibataire de la littérature mondiale. Personne (…) ne peut l’imaginer aux côtés d’une « madame Dr Kafka ». » Et puis, et surtout, comme Kafka l’écrivit lui-même à Felice, « Je n’ai pas un intérêt pour la littérature, je suis fait de littérature, je ne suis rien d’autre et ne peux être rien d’autre. » Voilà qui est clairement dit !
Conscient des limites de ce que peut faire un biographe, Reiner Stach, étant donné la prolixité des sources dont il dispose, n’en explore pas moins très minutieusement tous les aspects de l’homme Kafka, de sa vie, de son être. Une vie étriquée du fait de sa famille, des obligations qui lui incombaient, entre autres de devoir cogérer une fabrique d’amiante, ce dont il se souciait, en vérité, très peu, de son travail de fonctionnaire à l’Office d’assurances pour les accidents du travail de Bohème, et de ses amitiés, particulièrement celle de Max Brod, celui qui, alors que Kafka lui avait demandé de détruire ses manuscrits après sa mort, se garda d’obéir. C’est essentiellement durant les nuits que Kafka se consacrait à ce qui seul comptait pour lui, la littérature. Des textes, des romans, des nouvelles sombres, prémonitoires, mais non dénués de traits parodiques et comiques, comme se plaît à l’indiquer Reiner Stach. Son livre, sa biographie, si fouillée, si précise, nous en apprend beaucoup sur la genèse et sur le contenu des écrits de l’écrivain pragois dont on commémore, cette année, le centenaire de la mort. Cette œuvre biographique demeurera sans doute longtemps une référence sur Kafka et sur ses écrits.

Poet75 - Paris - 68 ans - 9 août 2024