Val Paradis
de Alain Jaubert

critiqué par Bernadette COUTURIER, le 6 novembre 2004
( - 72 ans)


La note:  étoiles
Caprices de l'imagination dans un port chilien
Lors d’une escale à Valparaiso dans les années cinquante, deux jeunes pilotins décident de festoyer à l’extrême. Ils se laissent porter par le hasard des événements lors de leurs déambulations dans les rues, les musées, les bars et les bordels de la ville.
Au gré des rencontres, les langues se délient et des histoires invraisemblables se racontent.
L’auteur nous dévoile ses fantasmes avec les femmes (jeune cousine qui demande à être dépucelée, complaisance à reluquer le trou du cul d’une pute, marin relatant ses frasques sur une île déserte avec la mère et la fille), ses rêves de découvertes (fonder une société de recherche de trésors engloutis), son aisance dans l’écriture descriptive et colorée et sa complaisance à employer des mots étrangers orduriers.
Le tout forme un ensemble dans lequel chacun est apte à trouver sa part d’osmose plus ou moins brève avec l’écrivain.
Formidable 10 étoiles

Je ne suis pas un très grand voyageur, quoique… Mais j’ai toujours été fasciné par les romanciers de la mer. Je viens de lire un très bon roman de mer, et français, ce qui est rare ! "Val Paradis" d’Alain Jaubert.

Valparaíso 1958 : un jeune marin de dix-huit ans, pilotin sur un navire marchand, fait escale dans le port. Port mythique, escale obligée de tous les navires passant par le détroit de Magellan, entré en déclin avec l’ouverture du canal de Panama. Ville étonnante, toute en collines raides, en escaliers, en ruelles labyrinthiques, en funiculaires délabrés, et célèbre chez les marins pour ses nombreux bordels. Le jeune marin va y passer ses vingt-quatre heures d’escale, où il n’est pas question de dormir, à déambuler en compagnie d’un autre marin, son compagnon de chambrée, plus expérimenté que lui. Dès le quai atteint, il sent une liberté prodigieuse, l’envie de tout découvrir, de tout happer, de vivre en un jour ce que la vie en mer n’apporte pas, par son côté enfermé et les seuls rêves et légendes colportés par les autres marins ou les personnes rencontrées au hasard des escales ou de la traversée du Panama, justement.

Les marins sont taciturnes, ils communiquent par un langage précis, une langue à eux (on ne jette pas l’ancre, on la mouille, par exemple, on ne rame pas, on nage). Mais chaque escale, chaque port, est propice à la rêverie, aux rencontres. Le récit à la première personne est ainsi entremêlé de récits secondaires enchâssés, souvent étonnants, comme le chapitre sur les piers de New York ou celui sur la traversée du canal de Panama, le plus long, qui raconte une magnifique histoire d’amour qu’une tierce personne relate au narrateur. Ou bien les passages sur le cap Horn et le détroit de Magellan, hallucinants : "D’abord, il y a le pays lui-même. Une sorte de Sibérie, mais moins rude, tempérée par les deux mers. Des paysages sauvages, l’horizon vertigineux, des bras de mer prodigieux, des îles, des fjords, des glaciers, des lacs, des montagnes. Le vent, les nuages, les couleurs. La solitude. Un ailleurs quasi inaccessible. Le lointain définitif. Le vrai Sud profond."

Le voyage ralentit le temps, et il ne faut pas moins de cinq cents pages pour évoquer une escale, qui change de la routine maritime ("Les terriens ont du mal à imaginer que l'essentiel de la navigation c'est du sommeil. On s'ennuie"), et où les aventures vécues (tournées des bars et des bordels, cuite carabinée, rencontres de personnages originaux qui invitent les marins, jusque dans leur lit, de prostituées au grand cœur, débordements divers) prennent une ampleur inégalée, car il faut procéder à toute vitesse, ne pas perdre une heure ("aller d'un bout à l'autre de la nuit quels que soient la fatigue, l'ivresse ou l‘ennui"), le marin déborde d’un appétit de tout connaître, tempéré par les souvenirs déjà engrangés qui font que les récits s‘emboîtent. L’odorat soudain se réveille à nouveau (car à bord, on ne respire que l’odeur de la mer et celle des machines), les perceptions deviennent délicates, la misère découverte (celle des bordels en particulier) est terriblement ressentie. Et en même temps, comme on boit plus que de raison, on est malade, on vomit, on n’est plus capable de faire l’amour… Comme la mer, l’escale est une expérience physiologique autant qu’initiatique. La poésie peut venir à la rescousse, Rimbaud, Baudelaire, Jean de la Croix, Calderon, Neruda, le jazz (Coltrane). Sans parler des écrivains de la mer (on sent l’influence de Conrad, de Melville, mais aussi de Carco ou de Mac Orlan, sans oublier Jorge Amado). Ce qui donne une écriture musicale, rythmée, parfois répétitive (les litanies de noms de ports, promesses de rêve et d‘aventure), allant jusqu’au flux de pensée, au monologue intérieur sans ponctuation (réminiscence de "Ulysse" de Joyce ?) sur une dizaine de pages pendant le délire de la cuite d’Antoine, le héros, qui va donc, à l’issue de cette soirée et de cette nuit, renaître plus ouvert, plus adulte.

Un livre pour hommes ? C’est effectivement un roman sensuel, palpable, cru souvent, brutal parfois, où l’on côtoie le bien et le mal, les vomissures et les salissures, la bière, le whisky et des alcools de toutes sortes, la marijuana aussi, les odeurs de poisson et de femmes plus ou moins fatales, l’amour tarifé. Pas sûr que les femmes aiment les histoires de marins en bordée, pourtant je crois que la sensibilité de l’auteur, sa délicatesse dans les portraits féminins, somme toute assez nombreux, devrait donner envie à de bonnes lectrices, comme à leurs homologues masculins, d’aller lire cette sorte de voyage au bout de la nuit. Un voyage magique, un récit humain, attachant.

Cyclo - Bordeaux - 79 ans - 15 août 2011


Chef-d'oeuvre 10 étoiles

C'est mon livre de chevet !
Un pur chef-d'oeuvre.
Le parcours initiatique d'un jeune pilotin lors d'une escale à Valparaiso. Des descriptions somptueuses, une foule de réflexions et d'anecdotes sensibles et intelligentes. Et enfin, une écriture parfaite, poétique, superbe.
Dur après une telle lecture de trouver quelque chose à se mettre sous la dent tant tout devient subitement fade.

Critique complète sur :
http://hardinski.net/makibook/romans.html/…

Maki - - 47 ans - 6 juillet 2011