La petite-fille
de Bernhard Schlink

critiqué par Pascale Ew., le 17 juin 2023
( - 57 ans)


La note:  étoiles
La culture et la patience face à la violence
La culture peut-elle sauver le monde ?
En rentrant chez lui, Kaspar trouve Birgit, sa femme, morte dans la baignoire. Elle s’est peut-être endormie après avoir bu la bouteille de trop… ou pas…
Birgit ne s’est jamais remise d’avoir abandonné sa fille à la naissance alors qu’elle s’apprêtait à fuir en Allemagne de l’ouest pour vivre sa vie avec Kaspar. Elle n’a jamais rien dit à son mari de cette fille et il découvre son existence après la mort de Birgit. Il décide alors de partir à sa recherche. Lorsqu’il la trouve enfin, elle est mariée et a une fille, et vit parmi les « völkisch ». Kaspar obtient de pouvoir voir sa petite-fille chez lui régulièrement s’il verse sa part d’héritage à ses parents. Cependant, ils mettent comme condition que Kaspar ne tente pas de changer leur fille ni de la monter contre eux et leurs idées.
S’ensuit un long dialogue pour essayer d’éveiller Sigrun à d’autres idées, à travers la culture : la musique, les livres, les poèmes, les musées, les voyages… Une confrontation s’installe entre la jeune fille de quatorze ans et son grand-père qui se demande sans cesse comment s’y prendre, s’il en fait trop ou pas assez, qui tâtonne… Et une certaine connivence prend également naissance, mais le chemin est long…
J’ai beaucoup aimé ce roman tout en subtilité ; il ne s’agit pas d’un de ces romans où tous les malheurs se résolvent en trois coups de cuiller à pot parce que des personnes s’épaulent les unes les autres. C’est beaucoup plus complexe ici, et nuancé. Plus réaliste. Kaspar se trouve bien démuni et seul pour argumenter face à des idées erronées si radicales. J’ai aimé ses questionnements sur la manière de s’y prendre, ses réflexions... C’est une histoire d’apprivoisement.
Je ne connaissais pas les « völkisch » et leurs rêves d’Allemagne forte, de conquête par la vie à la campagne, sur de belles valeurs, mais ancrées dans la haine de l’étranger et opposées à toute modernité.
Deux mondes 8 étoiles

Kaspar, 71 ans, est marié depuis des années à Birgit Wettner. Il est à peine surpris de découvrir, quand il rentre de sa librairie, qu’elle est morte.
Ils s’étaient rencontrés alors qu’ils étaient étudiants, lui allemand de l’Ouest et elle citoyenne de la RDA, dans "ce pays impossible à aimer".
Très amoureux, Kaspar prend des risques pour la faire passer à l’ouest, où elle arrive à Tempelhof le 16 janvier 1965.
Kaspar se souvient de leur première rencontre, de leur relation, de leur amour...
Il décide d’essayer de retrouver les poèmes qu’elle écrivait ainsi que le manuscrit du roman qu’elle avait promis à un éditeur. Et découvre alors le secret de sa femme. Elle a abandonné son bébé à la naissance pour pouvoir passer à l’Ouest.
Commence alors pour Kaspar la recherche improbable de cette enfant, 40 ans plus tard. Dans une pays pourtant unifié, il découvre un attachement aux racines de leur ancien état, des communautés d’extrême droite révisionnistes. Mais surtout, il découvre qu’il est le "beau-grand-père" d’une adolescente de 14 ans, Sigrun, fille de Svenja, fille de Birgit.
Commencent alors des échanges entre la jeune fille et lui, attaché aux valeurs occidentales. Il cherche à l’apprivoiser tout en se posant des questions sur sa légitimité d’allemand de l’Ouest par rapport à l’autre côté du mur.
" Pourquoi les gens de droite ne pourraient-ils pas être tout aussi méditatifs, rêveurs et mélancoliques que nous ?"
Une confrontation de deux mondes, où il s’interroge sur son droit, son devoir de lui ouvrir les yeux et de la légitimité de ses arguments malgré ses théories négationnistes insupportables lors de la visite de Ravensbrück.
" Pour toi, nous ne valons rien. Tu trouves qu’on est bêtes, qu’on a tout faux, qu’on ne peut pas parler avec nous. Tu penses que tu vaux mieux que nous." lui dit la jeune fille.

Un roman très fort, des personnages travaillés et émouvants, un lieu et une époque à re-découvrir, en font une lecture instructive et vraiment très intéressante

Marvic - Normandie - 66 ans - 8 juin 2024


LE PASSE ALLEMAND REVISITE 7 étoiles

Kaspar est libraire à Berlin. Il découvre lors de la mort de son épouse Birgit un journal tenu par cette dernière qui l’intrigue énormément. Kaspar apprend ainsi l’existence d’un bébé clandestin abandonnée par Birgit à sa naissance. Kaspar ferme sa librairie et part à la recherche de cette belle-fille inconnue. Ses investigations le conduisent à Svenja qui a épousé un néo-nazi. Ce couple a élevé dans cette optique une fille nommée Sigrun.
Ces retrouvailles amères et difficiles ne sont qu’un prétexte pour explorer en réalité les traces du passé allemand, celui de la partition du pays en deux états, dont les systèmes politiques et l’idéologie sont irréconciliables. Kaspar fait plusieurs constats qui l’amènent à des remises en cause de sa vision de l’Allemagne : « Ce n’est que tardivement, après la réunification, lorsqu’il connut de plus près des libraires de Berlin-Est et du Brandebourg, qu’il comprit que Birgit était une enfant de la RDA. »
Mais c’est toujours l’image de la RDA qui occupe Kaspar ; Celui-ci arrive aux mêmes conclusions que le personnage central de Good bye Lenin, ce film emblématique de la filmographie allemande d’après la réunification : « La RDA ne deviendra jamais le pays dont on rêvait. Elle n’existe plus. Ceux qui sont restés ne peuvent plus se réjouir. Ceux qui sont partis ne peuvent pas y revenir ; leur exil est sans fin. D’où le vide. Le pays et le rêve sont perdus irrémédiablement. »
Un autre aspect de l’histoire allemande est abordé dans ce roman : l’influence des thèses de l’extrême-droite dans les nouveaux Länder de l’ex-RDA. Kaspar apprend ainsi que Sigrun adhère à l’idéologie völkisch, vocable que l’on traduit généralement en français par « raciste », lié à une approche ethnique d’appartenance à une nation.
Dans les dialogues entre Kaspar et Sigrun, deux conceptions du monde s’opposent, elles sont irréconciliables et engendrent des difficultés pour conduire un dialogue entre ces deux personnages. Le roman de Bernhard Schlink offre au lecteur cet aperçu des divergences d’interprétation de l’histoire allemande. C’est loin d’être consensuel, cela peut irriter, mais mérite une lecture attentive.

TRIEB - BOULOGNE-BILLANCOURT - 73 ans - 1 novembre 2023


Désimprégnation ! 10 étoiles

Bernhard Schlink (1944 - ) est un écrivain allemand. Il est notamment connu pour avoir écrit "Le Liseur"(1995), succès littéraire international adapté au cinéma.
Die Enkelin (2021) publié en français sous le titre" La Petite-Fille" paraît en 2023.

Dans les années 1960, l’Allemagne est encore divisée (RDA/RFA). Lors d'un court séjour à l'Est, Kaspar rencontre Birgit et c'est le coup de foudre. Les 2 jeunes étudiants ne se quitteront plus. Kaspar organise la fuite de Birgit à l'Ouest. Une vie de bonheur s'annonce alors à l'Ouest mais Birgit sombre dans la nostalgie, ne trouve pas sa place, cache sa souffrance dans de longs voyages solitaires et l'alcool.
Kaspar, fou amoureux, accepte tout mais s'effondre quand il découvre le corps sans vie de Birgit un soir de retour du travail.
En parcourant son journal intime, il découvre que Birgit avait une fille. Après la stupeur, c'est la curiosité qui le gagne. Kaspar décide de se lancer sur les traces de cette enfant cachée. Il la retrouvera dans une communauté nationaliste aux relents néonazis. Svenja a la quarantaine, mère d'une jeune fille futée au caractère bien trempé: Sigrun.
Rapidement des liens se créent entre cette jeune demoiselle et son "grand-père rapporté". Svenja accepte que sa fille visite son grand-père de temps en temps pendant les vacances scolaires.
Des rapports "grand-père/petite-fille" mêlés d'Amour et de confrontations .
Sigrun est imprégnée des idées ultra nationalistes distillées par ses parents.
Kaspar doit user de patience, de douceur et de malices pour faire entrevoir à sa petite-fille les "failles" dans ses idées arrêtées, son rejet des étrangers, son culte d'une Allemagne forte et au retour du Reich fantasmé.

Moi qui pensais avoir touché un sommet à la lecture de "Le Liseur ", j''avoue être sorti assommé de ce chef d'oeuvre intelligent, sensible .
L'auteur nous interroge sur l'identité allemande, les efforts qu'il faut déployer pour "désimprégner " un enfant des ravages d'une éducation fermée.
La Musique, la Littérature comme outils de réflexion .
Ne ratez pas ce bijou de la littérature moderne .
Un très, très grand roman !

Frunny - PARIS - 59 ans - 1 juillet 2023