Hayat, d'Alep à Bruxelles
de Manal Halil (Scénario), Anaële Hermans (Scénario), Delphine Hermans (Dessin)

critiqué par Blue Boy, le 18 mai 2023
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
La longue et douloureuse marche d’une femme vers la liberté
Hayat, jeune femme syrienne de la communauté Dom, menait une vie ordinaire dans son pays, jusqu’à l’irruption brutale de la guerre dans les années 2010. Elle dut se résigner à fuir à l’étranger avec ses enfants, et après des semaines vécues dans le froid, la peur, la fatigue et la faim, c’est la Belgique qui deviendra sa terre d’asile. Ce roman graphique raconte son parcours, celui d’une femme née dans un pays où le statut des femmes reste soumis au poids de la tradition, mais qui, malgré le déchirement lié à son exil, trouvera dans son pays d’accueil les clés de son émancipation.

Depuis le temps que la question des réfugiés existe, de façon encore plus aigüe depuis les mouvements de sans-papiers des années 90, nombreux sont les ouvrages, et la bande dessinée n’est pas en reste, ayant traité du sujet. A titre d’exemple, on pourra citer l’excellente « Odyssée d’Hakim ». Fiction inspirée de personnages réels, « Hayat » s’est centré sur l’histoire d’une femme appartenant à la communauté dom de Syrie. Lointains cousins des Roms d’Europe, les Doms sont minoritaires et discriminés dans ce pays. Sujet dans le sujet, le livre évoque bien le quotidien de cette femme, qui malgré le poids du patriarcat et des conditions de vie modestes, semblait relativement serein (avant l’arrivée de la guerre bien sûr). On comprend même difficilement pourquoi ces gens subissent une telle discrimination tant leurs mœurs, en tout cas aux yeux d’un Européen, ont l’air de se rapprocher de ceux des Arabes, ne serait-ce que parce qu’ils ont adopté l’Islam comme religion. Le fait est que la plupart du temps, ils préfèrent dissimuler leurs origines, mais évitent de se mélanger au reste de la population.

Il faut l’avouer, le sujet est un peu éclipsé par celui de l’exil. Au fil des pages, on tend à oublier que la jeune femme est dom, on retient surtout que c’est une Syrienne qui fuit son pays à cause de la guerre… et que la guerre, jamais, ne cessera de nous sidérer par sa cruauté aussi ignoble qu’absurde.

Si le dessin de Delphine Hermans peut sembler un peu scolaire, il se fait vite oublier du fait qu’il va à l’essentiel pour mieux servir le récit qui lui, reste très fluide et assez captivant. Les quelques maladresses du trait un peu fragile sont compensées par une mise en page simple et variée et des couleurs pleines de fraîcheur, conférant un certain dynamisme à cette histoire au demeurant plutôt ordinaire d’une famille syrienne. Il ne faudra pas chercher ici de dramaturgie lacrymale. Non, ce que raconte « Hayat », c’est juste le récit « banalement dramatique » mais pas pour autant plombant d’une « primo-arrivante » en Europe, ce qui permettra peut-être au lecteur de se mettre plus facilement dans la peau de ces personnes, souvent vues dans les journaux télévisés comme les simples composants d’un flot anonyme et déshumanisé. La narration est une sorte de synthèse à partir de plusieurs témoignages recueillis par les scénaristes Anaële Hermans (sœur de la dessinatrice) et Manal Halil, elle-même d’origine syrienne, dans le cadre de leur fonction de formatrices dans un bureau d’accueil.