Cosa mentale de Jean Yvane
Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Nouvelles
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La rage de l'expression
En déclarant que la peinture est cosa mentale, Leonard de Vinci voulait dire que l’artiste ne se contente pas de dessiner ce qu’il voit mais qu’il peut aussi imaginer, se figurer la vue depuis un point de vue choisi à dess(e)in et que le travail intellectuel en amont est aussi, sinon plus important que son résultat sur le support.
C’est ce que montre Jean Ivane dans la fiction qu’il écrit en faisant parler Michel Foucault qui a donné, comme on sait, dans Les Mots et les Choses des pages inégalées sur Les Ménines (on a presque envie d’écrire Méninges) de Velasquez.
Ainsi, Jean Yvane privilégie dans chacune des neuf nouvelles composant ce recueil, un point de vue particulier pour chacun des créateurs singuliers, et leurs univers, qu’il a choisi d’évoquer. Cela nous vaut par ailleurs des portraits bien croqués des protagonistes et des considérations originales éclairant leur œuvre ou leur personne.
Comme il l’écrit à propos de Michel Foucault et qui vaut certainement pour lui, Jean Ivane "fait de la narration un art de l’esquive et de l’assaut".
La première nouvelle nous rend témoin de l’enregistrement par Serge Gainsbourg dernière période, en compagnie de Riton Liebman, de la voix de Méphisto pour la version française du film d’animation tiré de l’Histoire du Soldat de Ramuz et Stravinski
Jo l’obscur raconte la vie d'un fonctionnaire de l’Institut National de Géographie qu’aurait pu être Perec, une espère de concierge collectant les doubles des clés de ses voisins pour les dépanner au besoin. Il se promène aussi avec un plan du métro pour renseigner les usagers sur leur parcours souterrain…
Igor un grand gaillard vianesque au cœur fragile et au regard aigu qui joue de la trompinette et mourra après la projection d’un film tiré d’un de ses livres.
Kronos, c’est le pseudo avec lequel Antoine Blondin signait ses articles dans lesquels il mythifiait les grands coureurs cyclistes de son époque…
Le personnage inspiré par Samuel Beckett dialogue par miroir interposé avec un détenu de la prison d’en face de chez lui qui se fera la belle…
Trois nouvelles narrent des aventures conjugales. Celle faisant signe vers La Métamorphose de Kafka met en scène un homme au fond d’une cave transformé en chat que nourrit de lait depuis deux ans son épouse…
Woody Allen, époque Mia Farrow, doit combattre un Orion dont la présence se manifeste à son épouse, prétexte à faire accroire à son metteur en scène de mari qu’il n’est qu’un bon à rien.
La plus savoureuse nouvelle est, pour ce qui me concerne, la nouvelle dans laquelle Eugène Ionesco réclame à son épouse, lors d’un petite déjeuner copieux et paradoxal, eu égard au contexte, dix bonnes raisons pour l’inciter à vivre jusqu’au lendemain.
Dans la dernière histoire rapportée, un homme cherche le point de vue qu’a pris un peintre pour peindre une scène de crime survenu « au pied d’une falaise surplombant la mer ».
Un recueil d’une centaine de pages, insolite et intelligent, qui questionne l’expression littéraire dans le même temps où il rend hommage à des créateur uniques qui tous doivent ruser avec la vie, avec le monde, avec leur moi.
L’auteur nous fait ainsi réfléchir sur le mode de narration à employer pour qui est animé de "la rage de l’expression" : choisir un point de vue, l’angle d’attaque, les bons mots et les bons moyens, pour, à la fin de l’envoi et à la façon du Cyrano de Rostand, toucher son public au cœur.
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Belles lettres de grands auteurs
Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 21 juillet 2023
Il ne saurait flatté Gainsbourg car il n’est pas « flattable », il faut le prendre avec tous ses excès pour en goûter tout le talent et Jean Yvane, l’a très bien compris. Kafka, il ne l’a pas regardé lui-même, il l’a observé à travers l’œil de celle qui le connaissait le mieux : son épouse. Perec, il a apprécié l’homme qui a su conjuguer les contraintes, souvent littéraires, et les services rendus aux autres, par exemple en leur fournissant « le mode d’emploi » du métro. Chez Vian, il a vu comme tous ceux qui l’ont connu, l’homme de cœur sans cœur, l’homme de plume et de trompette, l’homme de mots et de maux qui « n’a pas pu aller au bout de sa vie ».
Personnellement, je rends hommage à jean Yvane d’avoir laissé dans cet inventaire des grands talents littéraires une petite place à Antoine Blondin pour lequel j’ai une vraie admiration. Ses dialogues pour le cinéma, ses articles de presse sur le cyclisme, ses romans et tous ces autres écrits, tous ceux que j’ai lus ou entendus sont pour moi de véritables pépites. Antoine, il a inventé un monde à sa démesure, un langage qui m’emporte chaque fois que je le lis. Je suis heureux de partager ce plaisir avec l’auteur.
Ionesco, Beckett et Woody Allen ont été moins facile d’accès pour moi mais Jean Yvane sait dire tout leur talent pour me donner envie de revenir vers leurs textes ou films. Merci à Lui d’avoir, le temps d’une lecture, remis ses immenses auteurs sur le devant de la scène littéraire. J’espère que les libraires se jetteront sur ce livre et entraineront derrière eux une longue file de lecteurs avides de redécouvrir des œuvres qui resteront immortelles si elles ne le sont pas déjà.
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