Ninfa profunda: Essai sur le drapé-tourmente de Georges Didi-Huberman
Catégorie(s) : Arts, loisir, vie pratique => Arts (peinture, sculpture, etc...)
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Georges Didi Huberman et les tempêtes de Hugo
Ce dernier volume de la série "Ninfa" axée sur le drapé prend comme base les dessins de Victor Hugo. Que beaucoup d'entre eux aient été réalisés dans l'exil à Jersey et Guernesey demeure important. Depuis les îles anglo-normandes, la production graphiste submerge les illusions romantiques d'une simple imitation de la nature déchaînée. Celle-ci devient le support à une sorte de récit.
Sa nature est particulière puisque l'auteur prétend n'être en rien artiste. Pour le justifier, Victor Hugo prit soit de préciser - et Didi Huberman le rappelle - : "Ignorer invite a essayer". En dessinant le poète des "Contemplations" ne se veut pas peintre. Et cette ignorance - que Valère Novarina nommera un "patient exercice d'imbécilité" - devient une force où "les patiences de l'évasion" vont créer une oeuvre étrange.
L'écrivain ouvre des serrures par de telles inventions graphiques. Les rapports aux rêves et fantasmes sont cruciaux dans l'hypocondrie qu'il crée. L'impulsion subjective jaillit dans ses surabondances, ses exagérations, ses dramatisations qui deviennent des acmés de ce que Hugo ressent plus que de ce qu'il voit.
La métamorphose dans ces tempêtes est perpétuelle. Elle souligne une énergie fondatrice de l'oeuvre. Elle émerge en traits noirs sur le fond blanc du vélin qui lui même fait trace. Victor Hugo invente de gigantesques coïts aux forteresses mobiles entre chaos, organisation. L'informe produit des formes généreuses, proliférantes.
Bref, la force prend forme, s'écroule et reprend dans cette amertume du flot "sans cesse pour ou contre, qui se nous que pour dénouer" ("L'Homme qui rit"). Dans la déchirure, le froncement, le clair obscur et le fracas, rappelle Didi Huberman, Hugo donne "chant" par l'encre et la picturalité.Preuve que - comme le poète l'écrit encore et que le critique reprend en exergure - "le sublime est en bas".
L'homme glisse sous la mer comme sous la femme entre dilatation et disparition dans un travail de naissance et de mort au milieu des "turbulations de la physionomoie du mystère" soulignées par Baudelaire lorsqu'il parle de tels dessins. Si bien ajoute-t-il "qu'aucune marine n'égale les siennes" tant la force est irrésistible là où tou "se meut dans l'immense".
La forme de l'informe absorbe l'extériorité pour un vertige des coordonnées spatiales et visuelles. Existe une météorologie intérieure non mesurable sinon par la vague là où la nuit comme l'eau remue. Les formes décalées et biomorphiques font de Hugo le travailleur de la mer. Dans cette configuration l'être devient jouet des flots dont ugo perce les poches d'ombres de l'encre par la gouache blanche.
La signification de l’œuvre d’art devient soudain celle d’un anti-monument. A savoir non pas une stèle qui viendrait célébrer une histoire définitive mais le lieu qui doit être perpétuellement parcouru dans toutes les directions pour comprendre le reste de l'entreprise hugolienne. La question du chef d’œuvre plastique est donc reconsidérée plus dans son « pour autrui » de l'oeuvre que dans son en soi. D'autant qu'ici son calme bloc de cristal se brise contre les rochers sous effets des tempêtes que le dessinateur scénarise.
Par un tel anthropomorphisme abstrait Hugo reste le philosophe des formes. Sa picturalité "fait fuser les images" rappelle Didi-Huberman. Si bien que le défi du Hugo scripteur est emporté plus loin. Et ce par l'élan des dessins et les "baisers frénétiques de ses vagues" sur les rochers. Le toit dans une hystérie de la nature dont toute la série des "Ninfa" de l'auteur est un rappel initié par Warburg et en hommage à lui.
Son héritier rappelle que chez Hugo les contours n'existent plus dans les collections "d'accessoires en mouvement" de diverses draperies qui ont beaucoup à voir avec le désir et des odalisques. Hugo face à l'accablement et la lamentation crée de la sorte une insurrection du désir. L'image rentre en dessous du monde, et - précise Didi-Huberman - "dans la joie profonde de l'abîme" pour faire émerger, des profondeurs marines, l'écueil ou la sirène puisque selon l'auteur nous plongeons dans la mer comme dans la femme. Ce qui ne veut pas forcément dire qu'il s'agit d'y sombrer.
Jean-Paull Gavard-Perret
Message de la modération : §8 repris d'un article de 2013 sur "Sur le fil" https://www.lelitteraire.com/?p=7951
Les éditions
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Ninfa profunda [Texte imprimé], essai sur le drapé-tourmente Georges Didi-Huberman
de Didi-Huberman, Georges
Gallimard / Art et artistes (Paris)
ISBN : 9782072711398 ; 13,99 € ; 20/04/2017 ; 160 p. ; Broché
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