Histoires fantastiques espagnoles
de Benito Pérez Galdos

critiqué par Poet75, le 24 juin 2023
(Paris - 68 ans)


La note:  étoiles
Du côté du fantastique
Les deux romans de Benito Pérez Galdós (1843-1920) rassemblés sous le titre Les Romans de l’Interdit, parus en 2022 aux éditions « Le Cherche-Midi », m’avaient si fortement impressionnés que je ne pouvais pas manquer la sortie de ces Histoires fantastiques espagnoles rassemblant neuf nouvelles de ce même auteur, publiées, elle, par « Okno », petite maison d’édition spécialisée dans ce registre du fantastique. Considéré, dans son pays, comme l’équivalent de notre Balzac, Benito Pérez Galdós, tout comme l’illustre romancier français, s’est parfois éloigné du genre purement naturaliste pour s’aventurer du côté du fantastique. C’est une autre facette, non moins intéressante, d’un écrivain dont, décidément, il est à souhaiter qu’il soit entièrement traduit et publié en français.
Dans la lignée d’un E. T. A. Hoffmann (1776-1822), c’est avec malice et sans nullement se soucier de vraisemblance que Pérez Galdós s’est plu, dans ses nouvelles, à enchanter le quotidien le plus morne en s’autorisant toutes les fantaisies. Pour ce faire, il ne se soucia pas de limite, dotant, par exemple, l’objet le plus humble d’un pouvoir extravagant. Ainsi, dans l’un des contes où il est question d’une simple plume qui se met à voyager de lieu en lieu à la recherche de l’endroit qui lui conviendrait le mieux (elle passe, entre autres, par une église où, après avoir cru avoir atteint son but, elle finit par estimer qu’on s’y ennuie beaucoup trop !). Ou encore, dans un autre conte où il s’agit d’une poupée ayant l’apparence d’une princesse et dont tombe amoureux un garnement, prenant, sans s’en douter, le risque de devenir un pantin.
Si chacune des nouvelles qui composent ce recueil diffuse son petit pouvoir de séduction, ce sont les deux premières qui retiennent particulièrement l’attention. Dans la deuxième, intitulée Célin, l’écrivain eut l’idée géniale d’imaginer une ville mouvante : autrement dit, une ville se reconfigurant chaque nuit, ses rues se déplaçant et s’agençant différemment. De ce fait, chaque jour, le plan de la ville diffère de celui du jour précédent. Quant au fleuve qui la traverse, lui aussi, il adopte, chaque nuit, un cours nouveau. Et c’est dans ce cadre si particulier qu’une jeune femme dévastée par la mort de son fiancé et voulant se suicider rencontre le personnage étonnant qui donne son titre au récit, Célin, un être qui, comme la ville, ne cesse de changer d’apparence.
Quant au Roman dans le tramway, la nouvelle qui ouvre le recueil, elle en est la plus complexe, la plus aboutie et la plus fascinante de toutes. Pérez Galdós y entremêle finement et vertigineusement le réel et l’imaginaire dans une mise en abyme intelligemment orchestrée. En effet, il y est question d’un homme (le narrateur) qui, traversant Madrid en tramway, entend un passager raconter une histoire qui semble venir tout droit d’un des romans-feuilletons si prisés en ce temps-là, l’histoire d’une comtesse à l’âme torturée, d’un majordome malveillant, d’un jeune homme amoureux et d’un mari cruel. Or, le passager ayant quitté le tramway, voici que le narrateur découvre sur un journal laissé à l’abandon un extrait de roman racontant la même histoire que celle qu’il venait d’entendre dire de vive voix par quelqu’un qui la narrait comme s’il en avait été le témoin. Puis, après cela, voilà le narrateur qui s’assoupit et qui fait un rêve où se poursuit à nouveau cette même histoire. Et ainsi de suite jusqu’à ne plus pouvoir distinguer le réel de l’imaginaire, en un va-et-vient troublant entre la vraie vie, la fiction et l’onirisme. Qu’est-ce qui est réel ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? semble se demander Pérez Galdós dans ce récit qui, sans nul doute, est un modèle du genre.