L'islam dans les prisons
de Farhad Khosrokhavar

critiqué par Bolcho, le 15 novembre 2004
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
Le titre est explicite...
L’idée centrale de ce livre est que l’islam est devenu la deuxième religion dans les prisons européennes…et que ces prisons n’en tiennent pas compte. A partir de ce constat, l’auteur (directeur d’études à l’EHESS, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) a réalisé un travail auprès de 160 détenus de trois prisons françaises.
Le résultat est parfois, il faut le dire, un peu aride et répétitif, notamment lorsqu’une idée est avancée, développée, discutée, puis suivie de plusieurs pages de témoignages de détenus qui vont dans le même sens, ce qui donne à l’ensemble plus un air de thèse universitaire que de livre grand public. Cela dit, rien n’oblige personne à se farcir tous les témoignages in extenso.
Conscient du fait que rares seront les visiteurs du site à se précipiter cher leur libraire pour acheter le bouquin, je me permettrai d’en exposer quelques-unes des idées principales. J’espère qu’on ne m’en voudra pas trop d’avoir un peu cassé le suspens…

L’auteur note tout d’abord que la situation est très différente des deux côtés de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, les arabes et les musulmans appartiennent aux classes moyennes. Ils intègrent la société par le milieu ou par le haut, contrairement à ce qui se passe en Europe, et bien sûr, les conséquences sociales de ce fait sont considérables. Ce qui prévaut donc en Europe, c’est le phénomène de l’exclusion : du fait des transformations technologiques et industrielles, la main d’œuvre non qualifiée n’est plus nécessaire. Or, sans bon niveau d’éducation, les gens passent de l’exploitation à l’exclusion. Dans les banlieues naît une sous-culture qui oppose le « nous » (les exclus) à « eux » (les intégrés). Les exclus mettent en place des stratégies alternatives : débrouille, incivilités, violences, indulgence à l’égard de l’illégalité, sentiment intense de victimisation, inaptitude au travail, volonté de ne pas ressembler au père exploité mais d’entrer dans la société de consommation (difficile légalement vu le faible niveau de formation).
Sans oublier le racisme ambiant qui rend l’accès au travail réellement plus difficile et l’effet amplificateur des medias qui décrivent le monde et notamment la situation au Moyen Orient.

Quelques caractéristiques de l’islam en prison.
- pas d’athéisme ou d’agnosticisme chez les détenus d’origine musulmane. Une des raisons en serait l’origine populaire des détenus (peu de facultés critiques). A noter aussi le fait que ces gens, en venant en Europe, ont aussi bien souvent pratiqué l’exode rural et se retrouvent dans des villes où les codes sont autres;
- le retour à l’islam est encore plus marqué en prison qu’à l’extérieur : il s’agit de se construire un code éthique que ni la famille ni l’école n’ont pu apporter. Il s’agit aussi de se donner une identité permettant de supporter sa propre déviance ;
- l’adhésion à l’islam est parfois aussi un moyen d’intégrer un groupe de solidarité qui peut être utile pour garantir sa sécurité et maintenir son « honneur » face à d’autres détenus ;
- en prison, les sujets de discussion liés à l’islam sont surtout la prière, le ramadan, l’absence de viande halal ;
- à propos des femmes en prison. Elles sont peu nombreuses (3,7% en France). Les femmes musulmanes sont 10 fois moins nombreuses en prison que dans la population (c’est l’inverse chez les hommes : 10 fois plus nombreux que dans la population). Chez les femmes également, il y a de fortes différences dans la manière de vivrez la religion mais, contrairement à ce qui se passe chez les hommes, la religion est rarement au premier plan des préoccupations et le discours explicatif (sur les raisons de la délinquance) est souvent beaucoup plus élaboré.
- à propos des surveillants. Pas de lien direct avec l’islam ici, mais cette idée qui vaut la peine qu’on s’y attarde : « On le sait bien, le métier de surveillant n’est pas, sauf exception, de ceux que l’on choisit par vocation. D’autres motivations priment : fonctionnariat, stabilité et perspectives de promotion grâce aux concours internes, retraite garantie, etc. La démultiplication des agents d’intervention externe - éducateurs, assistantes sociales, enseignants, animateurs de stages - refoule, en outre, les « matons » dans le rôle peu envié de « gardiens » (...) » ;
- la plupart des surveillants s’accordent sur un point : en milieu carcéral, le problème majeur, aujourd’hui, tient à l’arrivée massive des jeunes des banlieues et au sentiment d’impuissance et de dénuement qui saisit ces surveillants face à leur conduite ;

La conclusion générale du livre est que « une démarche européenne s’impose aujourd’hui pour gérer un phénomène qui, il y a encore quelques décennies, n’avait aucune raison d’être ».