La nuit remue
de Henri Michaux

critiqué par Pucksimberg, le 27 juillet 2023
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Coup de cœur
Lire des poèmes de Michaux est une expérience assez excitante. Il nous embarque dans son imagination sans trop rationaliser et nous fait pénétrer dans les apparitions auxquelles il donne naissance sous nos yeux, parfois de façon effrayante, parfois de façon totalement merveilleuse ou fantastique.

Cet ouvrage se divise en deux parties : « La Nuit remue » et « Mes propriétés ». Les poèmes de Michaux sont toujours une expérience car nous suivons les moindres sursauts de son imagination de façon illogique, du moins en suivant les mécanismes des associations d’idées ou d’enchainements surprenants commandés par les caprices de la pensée. Ses poèmes sont en prose et en vers. Il s’affranchit des codes traditionnels et engendre une poésie qui relève parfois d’expériences hallucinatoires. Il y a par exemple ce long poème intitulé « L’Ether » dans lequel ses expériences avec l’éther sont évoquées et comparées aux expériences amoureuses et à la jouissance. Plus tard, il expérimentera le LSD et la mescaline et donnera aussi naissance à des textes hallucinants et originaux, à une sorte de « dérèglement des sens » qu’annonçait déjà Rimbaud.

Il décrit aussi des tableaux qu’il imagine et qui semblent prendre racine dans le monde réel. Il devient poète démiurge et crée un monde selon ses volontés, fait naître des arbres imaginaires, quelque peu impressionnants parfois, crée des espèces animales qu’il décrit de façon encyclopédique, imagine un monde totalement sorti tout droit de ses pensées. De nombreux poèmes reposent sur des accumulations d’exemples qui permettent de s’enfoncer plus profondément dans l’imagination comme toutes ces catégories d’yeux qu’il identifie. Dans ces univers fantasmés, le poète perd parfois son moi et rencontre des difficultés à rassembler toutes ses facettes comme si le moi se métamorphosait et lui échappait sans cesse.

Henri Michaux accorde une grande importance à la langue. Il peut aussi bien adopter une langue limpide, proche de l’oralité que s’adonner à un verbe poétique reposant sur des néologismes. Certains termes inventés sont empreints de poésie et d’une force incroyable. On peut y lire une étymologie poétique totalement fantaisiste mais qui permet de voyager davantage dans l’acte même de création. Il fait en sorte que les mots utilisés ou inventés reflètent ce qu’ils signifient, ce que Ponge a aussi fait en faisant en sorte que signifié et signifiant se complètent. Certains poèmes se lisent facilement comme si on lisait des extraits de roman, pourtant très vite l’univers décrit obéit aux règles de la poésie et perd de son réalisme. Certains textes sont plus hermétiques par leur univers mais aussi par la langue.

Lire Henri Michaux est une véritable expérience. Il projette son lecteur dans des sphères dont il a la totale maitrise. Derrière ces mondes fantaisistes et cauchemardesques, le poète parle de la souffrance, de l’identité, du bonheur, de son rapport à l’autre, de la maladie, de son « impuissance à se conformer » … Il y a quelque chose de profond dans ses poèmes qui touche à l’indicible ou à l’innommable. On apprend sur nous en le lisant, sur le pouvoir de l’imagination, sur l’expression des pulsions et des craintes. Un psychanalyste pourrait en dire beaucoup sur Henri Michaux en lisant ses poèmes. On y rencontre des êtres avec des têtes au centre de leur corps, des individus dont la tête d’un curieux animal a pénétré leur abdomen, des organes comme souvent chez lui … Michaux visite l’extérieur et l’intérieur dans une odyssée personnelle, cauchemardesque et fantaisiste.