Vents de Carême
de Leonardo Padura

critiqué par Fee carabine, le 20 novembre 2004
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Vents de folie sur La Havane
Ingrédients:

- Le flic, Mario dit Le Conde, la trentaine bien entamée, désabusé, mélancolique et solitaire, gourmand, grand lecteur et écrivain velléitaire.
- La femme fatale - "Sous l'éclat du soleil, elle étincelait comme une vision d'un autre monde: la chevelure rousse, incendiée, frisée et souple..." . Vous voulez parier que notre flic mélancolique va se retrouver avec le coeur en capilotade?
- Les amis du flic: le caïd plus-ou-moins-rangé plus-ou-moins-indic, le médecin à la vie bien réglée, le mordu de base ball cloué dans un fauteuil roulant et la mère de ce dernier qui nourrit tout ce petit monde à grands renforts de pot-au-feu à la madrilène et de tamal en cocotte...
- La victime: femme, jeune professeur de chimie dans un lycée "chic", violée, torturée, étouffée...
- La troupe des suspects: collègues et élèves de la victime...

Et enfin, le décor: La Havane au printemps, en proie aux bourrasques du "Vent de Carême", aride et suffocant, comme envoyé directement du désert, déroulant sur la ville des nuées de poussière.

Mélangez le tout, puis laissez mijoter pendant 226 pages.
Vous obtiendrez un roman policier dont l'auteur s'est manifestement amusé à enfiler les clichés comme des perles sur un colier, un roman policier sans surprise et que j'aurai sans doute vite oublié, mais un roman que j'ai pris plaisir à lire, partageant l'amusement - manifeste - de l'auteur...

Un petit extrait (un des passages les plus savoureux du livre, Le Conde attend un coup de téléphone de sa Rousse Incendiaire...):

"Six heures moins le quart et elle n'appelle pas. Rufino, le poisson de combat, fit un tour rapide de la rondeur sans fin de son aquarium et s'immobilisa, tout près du fond: le poisson et le policier se regardèrent: mais putain qu'est-ce que tu regardes Rufino? Allez, nage, et, comme si le poisson lui obéissait, il reprit son éternel ballet circulaire. Le Conde avait décidé de fractionner le temps en quarts d'heure et avait déjà trucidé cinq parts égales. Au début, il essaya de lire: il fouilla sur les étagères, écartant les livres qui l'avaient un temps plus ou moins séduit: il ne supportait plus les romans d'Arturo Arango, ce type en écrivait des tas, toujours sur des personnages paumés qui avaient envie d'aller vivre à Manzanillo et de retrouver l'innocence à travers leur petite amie perdue; les nouvelles de Lopez Sacha, pas question, elles étaient bavardes, chichiteuses et plus longues qu'une condamnation à perpétuité (...) Elle est belle la littérature contemporaine! se dit-il, et il choisit un petit roman qui lui paraissait ce qu'il avait lu de mieux ces derniers temps: Fiebre de caballos. Mais il manquait de concentration pour apprécier cette prose et il ne put aller au-delà de la deuxième page. Alors il voulut faire du rangement: sa maison lui paraissait un entrepôt d'oublis et de négligences, il se jura de consacrer la matinée du dimanche à laver des chemises, des chaussettes, des caleçons et même des draps. Laver des draps, quelle horreur! Ainsi les quarts d'heure tombaient, lourds, compacts. Putain de téléphone, je t'en supplie, sonne! Mais il ne sonnait pas. Il décrocha pour la cinquième fois pour vérifier qu'il fonctionnait bien et remit l'écouteur en place..."
Policier solitaire à Cuba 6 étoiles

A Cuba, en 1989, Lissette, une jeune professeure est retrouvée assassinée dans son appartement. L’inspecteur Mario Conde est chargé de l’affaire.
Il mène l’enquête dans son ancien lycée avec le directeur ou des élèves de la victime, auprès d’un petit truand puis d’un passeur de drogue. Il s’avère qu’ils étaient tous amants de Lissette à des titres divers et que la colère de l’un d’eux a eu une issue fatale.

Le livre regorge de son amitié virile avec le Flaco Carlos, en chaise roulante depuis une balle reçue en Angola dont la mère cuisine divinement et nous donne ses recettes, ainsi que ses 2 autres camarades d’enfance avec qui il boit du rhum et va voir des match. Il tombe aussi amoureux de Karina, une voisine ingénieure qu’il n’avait jamais vue et avec qui il passe 3 jours d’ébats et d’attente jusqu’à ce qu’elle lui annonce que son mari médecin revient d’une mission humanitaire et qu’il n’était qu’un agréable divertissement. Un de ses collègues meurt d’une attaque cérébrale. Et il constate que le temps passe, l’alcool ou le tabac l’aidant à s’oublier, lui et ses rêves d’écrivain.

IF-0312-3852

Isad - - - ans - 8 mars 2012


2nd épisode du cycle « Les Quatre saisons » 8 étoiles

Leonardo Padura est journaliste-écrivain cubain et c’est par le biais de polars désabusés, dont le héros est l’Inspecteur Mario Conde, qu’il nous entretient de la réalité cubaine. Cuba, clochard magnifique dans la société des Etats.
A l’image de Cuba, Mario Conde est aussi un clochard magnifique dans le monde des policiers. A vrai dire, telle que la situation est décrite par Leonardo Padura, la société cubaine étant tellement bridée et contrôlée, la délinquance semble évoluer un cran en-dessous d’autres sociétés, telles les occidentales par exemple. Mais les moyens sont aussi en-deça à en croire Leonardo Padura. Les moyens mis à la disposition de Mario Conde et de ses confrères relèvent plutôt de la catégorie : « la b… et le couteau » ! Heureusement l’intelligence fera toujours la différence et le non-conformisme de Mario Conde se révèle plutôt un avantage. Non-conformiste, aux amis tous cabossés par la vie (j’ai peur que ce soit assez commun à Cuba), qui noie chagrin et solitude dans des cuites au rhum récurrentes, qui ne trouve à manger qu’en squattant la cuisine de son meilleur ami (il n’est qu’à lire Zoé Valdès pour vérifier cette donnée terrible concernant le quotidien de Cuba ; on y meurt de faim et d’étouffement), Mario Conde a cependant pour lui d’être intelligent, lucide – et accessoirement d’avoir pour papa de plume Leonardo Padura !
Aussi quand une jeune, jolie et plutôt aisée professeur de Chimie est retrouvée assassinée et que des faits troubles – incompatibles avec la réalité cubaine – rendent le dossier explosif, on le confie à Mario Conde. Cuba n’est pas si grand et il se trouve que cette jeune professeur de Chimie enseignait dans le lycée où Mario Conde fit ses études, l’occasion de quelques pages de nostalgie. Il en profite aussi pour tomber amoureux et … nous sommes à Cuba, où rien n’est simple et les amours sûrement pas heureuses …
Bref, nous allons suivre une enquête à la Mario Conde en en profitant pour sentir un peu ce qu’est la réalité cubaine (ça n’a pas dû énormément changer encore ?). On évolue en permanence dans une brume psychologique aux relents amers et désabusés, on se cuite régulièrement au rhum et on va manger le soir dans la cuisine de Josefina, la mère du « Flaco » …
C’est très bien fait et pour ma part j’aime beaucoup. Et d’abord, quelqu’un qui aime autant Hemingway – je parle de Padura – ne peut pas être mauvais !

« Le rhum, ça peut s’arranger, pensa-t-il, même dans les limites de la loi. La difficulté était de combiner le rhum avec cette femme qu’il avait rencontrée trois jours plus tôt et qui provoquait chez lui cette gueule de bois d’espoirs et de frustrations. C’était le dimanche précédent, après avoir déjeuné chez le Flaco, qui n’était plus du tout maigre, et constaté que Josefina était de mèche avec El Diablo. Seul ce boucher au surnom infernal pouvait encourager le péché de gourmandise où les avait précipités la mère du Flaco : incroyable mais vrai, pot-au-feu à la madrilène, presque authentique, expliqua la femme qui les fit passer à la salle à manger où les attendaient les assiettes de bouillon et, circonspect et débordant de promesses, le plat de viandes, de légumes et de pois chiches. »

Tistou - - 68 ans - 21 septembre 2011


Cuba libre ! 6 étoiles

C'est un vent étrange qui souffle entre les pages du polar cubain de Leonardo Padura.
Un vent de tristesse désabusée, de nonchalance amère.
Un vent chaud de poussière et de sable qui balaye les rues de La Havane en ce mois de mars 1989 : les Vents de carême.
Une jeune prof du lycée vient d'être assassinée, on a retrouvé de la marijuana chez elle et à Cuba on ne plaisante pas avec ces choses-là.
L'inspecteur de Padura, Mario Conde (le Comte) et son adjoint Manolo écopent de cette enquête qui s'annonce difficile et périlleuse : qui couchait avec la prof ? qui sont les gros bonnets mouillés dans cette affaire ?

[...] - Cette affaire est très bizarre, Manolo, ils mentent tous, je ne sais pas si c'est pour protéger quelqu'un ou pour se protéger eux-mêmes, ou parce qu'ils se sont habitués à mentir et que ça leur plaît.

Mario préférerait se saouler tranquillement au rhum avec son copain Le Flaco (le maigre), cloué dans une chaise roulante après une mauvaise balle reçue en Angola.

[...] On sentait de nouveau la présence accablante du vent torride qui ne se décidait pas à laisser en paix les dernières fleurs du printemps ni la mélancolie persistante de Mario Conde.

En chemin, Mario croise la trop belle Karina qui veut bien jouer du jazz pour lui, uniquement vêtue de son saxo.
Et c'est beaucoup, un peu trop, pour Mario, le flic qui aurait voulu devenir écrivain.

[...] - Tu es un type bizarre. Tu est triste comme la pluie et ça me plaît. J'ai l'impression que tu passes ton temps à demander pardon d'être vivant. Je ne comprends pas comment tu peux être policier.

D'habitude on aime bien les flics désabusés aux prises avec une ville qui les dévore mais la déprime un brin machiste de Mario Conde n'a pas réussi à nous accrocher cette fois-ci.
Sans doute est-ce dû à la prose un peu verbeuse et trop sérieuse de Leonardo Padura, comme ici par exemple :

[...] Depuis deux siècles, La Havane est une ville vivante, qui impose ses propres lois et choisit soigneusement ses fards pour marquer sa singularité. Pourquoi suis-je issu de cette ville, précisément de cette ville, disproportionnée et orgueilleuse ? J'essaie de comprendre ce destin inévitable, non choisi, en m'efforçant de comprendre la ville, mais La Havane m'échappe et m'étonne toujours avec ses recoins oubliés comme des photos en noir et blanc, et ma compréhension est à l'image du vieux blason de ces nobles enrichis par la mangue, l'ananas et la canne à sucre : rongée par le temps. Après tant de dévouements et de rejets, ma relation avec la ville est oblitérée par les clairs-obscurs que mes yeux y peignent, ainsi la jolie fille se transforme en prostituée féroce, l'homme furieux en assassin potentiel, le jeune homme pétulant en drogué incurable, le vieux du coin en voleur à la retraite. Tout noircit avec le temps, comme la ville où je marche entre les arcades sales, les murs écaillés etc... etc...

Même si Cuba n'est pas réputée pour sa joie de vivre sous la coupe des frères Castro, on aurait aimé un guide plus avenant pour nous promener dans les rues de La Havane où l'on n'a guère l'occasion de voyager, même en classe polar.

BMR & MAM - Paris - 64 ans - 24 octobre 2009