Le dernier Voyage d'Horatio II
de Eduardo Mendoza

critiqué par Sahkti, le 23 novembre 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
L'Homme ne vaut pas grand chose
Ce roman de Mendoza est absolument délirant et loufoque! Le journal intime d’un commandant de vaisseau spatial, Horatio II, qui dirige un équipage complètement déjanté composé d’individus bizarres et hors-la-loi (par exemple une femme dont la légèreté des mœurs n’a d’égale que celle de l’air ou un toubib qui utilise les médicaments pour fabriquer de l’alcool et le revendre au marché noir) se rendant vers une mystérieuse destination, habitée par des êtres pas plus reluisants que ceux qui forment la folle équipée. On envoie les pestiférés chez d’autres pas mieux lotis, ça promet une belle explosion en perspective !
Les catastrophes se suivent, le vaisseau est contraint de demander de l’aide à gauche et à droite, ça devient épique, pour ne pas dire franchement folklorique. Il est question de survie et pour s’en sortir, tous les moyens sont bons, même les plus vils. Horatio II raconte, jour par jour, ses aventures sous forme de rapport adressé à ses supérieurs. Tout est consigné dans les moindres détails et le commandant donne un portrait de lui très flatteur pour ses supérieurs mais qui ne leurre pas longtemps le lecteur, on a vite compris qu’il était aussi ringard que son équipage. Ce n’est pas pour rien que les autorités lui ont confié la mission de transporter des vieillards fauchés, des femmes lubriques ou de jeunes voyous aux confins de l’Univers, en sachant que le vaisseau n’en reviendrait pas.

C’est un roman de science-fiction mais aussi un beau texte de littérature (un peu en dehors des sentiers auxquels Mendoza nous a habitués), cela pourrait aussi être un essai caustique sur le prix de la vie et de la liberté, sur le pouvoir et ses excès, sur la condition humaine et les vices de l’Humanité.
C’est en tout cas un texte complètement fou que je vous conseille si vous voulez passer un bon moment, même si vous n’êtes pas amateur d’épopée spatiale. La science-fiction me semble n’être d’ailleurs ici qu’un prétexte pour que Mendoza se fasse les griffes sur le compte des pauvres humains perdus que nous sommes, objets de tous les vices et de tous les malheurs.

Quelques passages incontournables dans ce livre, notamment quand Mendoza raconte et décrit les vaisseaux que l’on peut croiser le long des autoroutes spatiales, véritables poubelles ambulantes, transporteurs des pires damnés de la terre ou ghettos spatiaux, comme par exemple le "Derrida", vaisseau qui ne transporte que des intellectuels.

Un bon moment de lecture, rempli d’humour et de folie mais aussi d’une profonde gravité sur le sens de la vie. Et puis, à mes yeux, un certain pessimisme de la part de Mendoza, allié à une bonne dose de cruauté, pour dire que la race humaine est pourrie et ne vaut pas un clou. Des hommes tout justes bons à abattre tant ils sont perdus. Constat moins amusant que le style employé par l’auteur.
Le pouvoir comique de Mendoza 7 étoiles

Rares sont les auteurs capables de faire rire comme peut le faire Eduardo Mendoza. Que ce soit en racontant les aventures du héros du "mystère de la crypte ensorcelée" et du "labyrinthe aux olives" ou a travers le récit de deux extraterrestres en mission sur terre dans le roman "Sans nouvelles de Gurb", ou encore dans ce roman ci.

Ce roman donc , se présente sous la forme d'un journal de bord tenu par le commandant d'un vaisseau spatial. Sur ce dernier sont embarqués pour une destination qui nous est inconnue, un équipage et des passagers que l'on qualifiera de peu banals: "délinquant", "femmes dévoyés" et "vieillards imprévoyants" côtoient des membres d'équipage enclins aux erreurs de calculs et notamment de trajectoire. Le commandant de bord quant à lui est plutôt dépassé par les évènements. Et c'est ainsi que nous suivons tout ce petit monde dans une séries de péripéties à travers l'espace.

Encore une fois, Mendoza parvient à nous faire rire, et ceci grâce a une plume d'une grande qualité littéraire lui permettant de manier l'humour quel que soit le fait exposé. En effet ce ne sont pas tant les situations qui sont drôles en elles-mêmes que la façon dont l'auteur nous les fait partager. Mendoza semble capable de faire rire simplement en écrivant une liste de courses ou une lettre de motivation.
Alors bien évidemment on peut ne pas se contenter d'une lecture au premier degré de ce roman, et c'est aussi ce qui en fait sa valeur. Mais savoir que l'on peut se plonger dans un livre avec au moins la seule certitude de pouvoir se détendre en riant un bon coup c'est déjà beaucoup. Surtout si l'on ajoute à cela une grande qualité d'écriture.

J'ai lu quatre romans de cet auteur et dans chacun de ceux-ci l'humour absurde y est pratiqué au plus haut degré. Mais il semble à ce que j'ai pu lire à son sujet que cet auteur a écrit d'autre romans dévoilant d'autres facettes de son talent et que j'ai hâte de découvrir.

Lynch - Perpignan - 48 ans - 5 février 2012


Voyage en Parodie... 8 étoiles

On parle beaucoup dans ces critique de la parodie de science-fiction. C'est vrai. Sans aucun doute, le pari est gagné et Mendoza nous entraîne dans une course folle contre un futur improbable (mais férocement proche à la fois). Sur ce point, rien à ajouter qui n'ait déjà été dit.

Je voulais par contre ajouter un paramètre: l'aspect "carnet de bord officiel", dont j'ai trouvé le traitement hilarant du début à la fin!

Le Commandant de Bord Horatio II ne manque jamais à l'écriture du "Respectueux Rapport" de la journée écoulée. Un ton bien sûr officiel et technique, et même (osons le dire) technocratique, du plus haut comique. Sans compter que le Grand Rédacteur de ce Respecteux Rapport n'est autre qu'un commandant-pantin...

Lecture au premier degré ou selon un angle plus symbolique: les deux apportent un grand bonheur!

Morceaux choisis:

"Dans le but de procéder à une évaluation de la situation et, à titre préventif, de localiser une Station Spatiale sur l'Astrolabe Digitalisé, je convoque le premier officier de bord. Avant d'entrer en matière, et conformément à l'enseignement reçu à l'Académie de Commandement de Villalpando, je consacre un moment à me ménager sa bonne volonté: je le couvre d'éloges et, plus important encore, je parle en termes méprisants du second officier de bord, que je qualifie systématiquement de "troisième à bord". Puis je fais venir le second officier de bord et m'adresse à lui en l'appelant le "premier second de bord". De la sorte je m'assure la loyauté des deux et stimule leur mésentente. Puis je désigne des espions pour savoir s'ils n'essayent pas de faire la même chose entre eux à l'égard de ma personne."

"La situation, comme l'avait suggéré le bon docteur Agustinopoulos, commençait à se compliquer, atteignant neuf degrés au-dessus de "difficile" et un seulement au-dessous de "catastrophique". "

Mallollo - - 42 ans - 17 janvier 2007


La vérité par l'absurde 8 étoiles

Un délire humoristico-futuriste écrit avec talent par Mendoza sous la forme d'un journal de bord.

L'auteur ne s'embarrasse pas de descriptions technologiques mais s'intéresse surtout à la médiocrité humaine avec un humour pince-sans-rire qui déridera les plus coincés.

La science-fiction n'est qu'un prétexte aux voyages et aux rencontres où les personnages tourbillonnent dans l'absurde et le faux.

On ne peut s'empêcher de voir ici une métaphore du destin de l'Espagne de ce dernier siècle : la monarchie parée de fausses dorures, la dictature franquiste, le rôle de l'église, la corruption gouvernementale et les pratiques politiques peu reluisantes.

Laurent2801 - - 51 ans - 4 juin 2006