L'enragé
de Sorj Chalandon

critiqué par Spirit, le 20 septembre 2023
(Ploudaniel/BRETAGNE - 65 ans)


La note:  étoiles
Un gros bout d'humanité
« Voilà ! Je le mets là à côté de la marmite de cotriade. C'est le dernier manuscrit de SORJ CHALANDON : L'ENRAGE».
« Il parle de quoi ? »
« De la vie, de la mort et surtout d'humanité, c'est ce qui reste de mieux quand on a pressé le bonhomme, la petite étincelle qui fait que l'homme n'est pas un loup pour l'homme, (et encore le loup a faim, il suit son instinct il ne le pense pas), l'homme ne s'arrête pas à ça. »
« Et tu penses que ton manuscrit vaut que l'on mange le repas froid ? »
« C'est à vous de voir, vous êtes libres, mais si je vous le mets là, devant vous c'est qu'il y a de la chair, du muscle, du nerf, de la vie »
« C'est gai ou triste ? »
« C'est ni l'un ni l'autre et tout en même temps, c'est l'être humain face à lui même, il peut faire le bien , il peut faire le mal et parfois il fait les deux en même temps, c'est l'homme »
« C'est long ? »
« Moins long qu'une vie et pourtant pour le coup vous en avez des vies, de toutes sortes, certaines ne sentent pas bon d'autres ont le parfum du monde »
« Y'en a qu'un ! »
« Soit l'un de vous le lit aux autres, soit chacun lit par dessus l'épaule de l'autre, dans les deux cas vous êtes liés et c'est le plus important »
« Et pour le boulot on va pas être à l'heure ? »
« J'm'en fous de l'heure, l'important c'est qu'après vous soyez plus liés, plus solidaires, plus à l'écoute »
« Fais-nous un topo, j'hésite ! »
« C'est l'histoire d'un garçon, un presque homme, qui est pris dans les fourches de la société bourgeoise et qui essaye de s'en sortir avec l'aide de gars qui ont vu tout de suite qu'il était pris dans un piège et qu'avec un coup de main il pouvait s'en sortir. C'est l'histoire qu'une main tendue peut parfois beaucoup plus qu'un regard biaisé. C'est l'histoire de la vie, la vraie vie, celle qui nous amène vers le mieux et peut-être le meilleur »
« Qu'est-ce tu nous conseilles  ? »
« De le lire, c'est le mien, je vous le donne, y'a pas mieux !»
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! 5 étoiles

Un nouveau roman dont le cadre est une des Colonies Pénitentiaires pour Mineurs (celle de Belle-Île en mer qui plus est !) ne pouvait pas me laisser indifférent (cf. ma recension à propos de "Le Gosse" de Véronique OLMI).
Point de départ du roman, la trajectoire de Jules Bonneau des années 1920 à 1940, que la bêtise de nombreux intervenants (inclus la sienne propre) mènera à la Colonie Pénitentiaire Agricole et Maritime de Belle-Île-en-Mer. Participant à la célèbre évasion du 27 août 1934 (celle qui inspira à Jacques Prévert, présent dans l'île à ce moment-là, le poème "La chasse à l'enfant"), l'auteur fait de son personnage le seul enfant à ne pas être repris et narre ensuite son existence parmi des marins-pêcheurs.
Le thème, la construction du roman, et l'histoire elle-même sont parmi les points positifs de ce livre. Aborder l'Histoire de ces "Colonies Pénitentiaires" est déjà en soi une excellente chose. Décrire le sort subi par de nombreux enfants dont le seul tort était d'être orphelins et d'avoir chapardé un quignon de pain pour survivre – ah bien sûr, il y avait aussi parmi eux de vrais scélérats !- est louable.
Hélas, si le style est plutôt agréable et fluide, facile à lire, je trouve la narration molle, sans aucune puissance évocatrice. Les descriptions de ce qui se passait dans ces "Colonies" restent très édulcorées et de l'ordre "pour tout public". Finalement, le sort de ce Jules Bonneau m'a laissé quelque peu indifférent. J'ai été beaucoup plus sensible à celui de Camille Loiseau (autre enfant du pénitencier) et à l'histoire des marins-pêcheurs. L'allusion, d'abord subtile à la présence de Prévert sur l'île, à la genèse de son poème, tombe hélas rapidement à plat, comme un soufflé raté, dès qu'il devient un personnage du roman. Dommage !
Autre point négatif, l'auteur prend beaucoup de liberté avec L Histoire, racontant plusieurs épisodes historiques à l'aune de ses convictions. Allez, deux exemples flagrants (je ne veux pas être trop long !) :
- la répression des révoltes ouvrières parisiennes de juin 1848 est le fait de la "Commission Exécutive" aux mains de Républicains Modérés (Ledru-Rollin, Arago, Lamartine), et non du "Parti de l'Ordre" de l'odieux Adolphe Thiers, même si celui-ci soutenait cette action de répression – Thiers n'accèdera au pouvoir qu'en 1872 !
- les Croix de Feu sont décrits implicitement comme des Fascistes, Nazis, etc. ; sait-il Sorj Chalandon que François de la Rocque, dirigeant de cette ligue d'anciens combattants (et plus tard du PSF), est un démocrate dans l'âme, que c'est grâce à lui que le coup d'état du 6 février 1934 tenté par les Royalistes de l'Action Française a échoué – on est loin de Mauras ! ; sait-il que François de la Rocque a été arrêté par la Gestapo et déporté car il s'opposait à la Politique antijuive du Gouvernement de Vichy* ? - à cet égard, les Croix de Feu rendaient tous les ans un hommage vibrant aux Français juifs tombés au front : on est loin d'une franche amitié avec Maurice Papon ! - dommage que la Rocque, en militaire un peu borné, il faut le reconnaitre, et fidèle aux instances officielles, ait boudé les appels du Général de Gaulle ! ; sait-il que Charles Vallin, son bras droit, est un grand Résistant ? quand Maurice Thorez, chef du PCF, s'est réfugié en URSS dès 1940 pour ne pas combattre les Nazis ! quand Marcel Déat, membre de la SFIO, et Jacques Doriot, membre du PCF, furent parmi les collabo les plus acharnés ! quand François Mitterrand, haut fonctionnaire de Vichy, retourna sa veste seulement fin 1942… Alors, cessons tout manichéisme primaire et tout détournement mensonger ou approximatif de l'Histoire au profit d'une quelconque propagande !
En conclusion, comme pour "Le gosse " de Véronique OLMI, on est loin de l'univers de Jean Genet, pensionnaire de Mettray (autre Colonie Pénitentiaire). Et ici aussi, je suis peut-être un peu sévère, mais j'attendais tellement plus d'un tel thème... Quoi qu'il en soit, "l'enragé" est un bon moment de lecture pour tous, en restant très critique vis-à-vis de la manipulation historique !

Pour les internautes intéressés par la thématique : "Miracle de la rose" roman (difficile) de Jean Genêt ; "La colonie agricole et pénitentiaire de Mettray" témoignage de Raoul Léger ; "La chasse aux enfants" de Jean-Hughes Lime, roman plus abordable d'un point de vue littéraire – et qu'il faudrait que je relise pour en faire une recension ici… ! Il y a aussi un passage fort, très incisif et puissant, sur la Colonie de Belle-Île-en-Mer dans le polar "Les larmes de Belle-Île" de Jean-Paul le Dermat ; hélas, l'affaire policière connexe de ce roman est un fiasco (enfin, à mon avis). J'ai aussi entendu parler d'un essai journalistique de Julien Hillion "Le bataillon des nuisibles", mais je n'ai pas lu…


* Je renvoie à la monographie dirigée par S. Bernstein et J.-P. Thomas "Le PSF – un parti de masse à droite" CNRS Editions.

Homo.Libris - Paris - 59 ans - 2 juillet 2025


Un enfant grandi sans amour 10 étoiles

L’auteur rappelle ici la jeunesse, dans les années ’30, du grand résistant que fut Jules Bonneau, dont la souffrance en continu depuis sa plus tendre enfance, est notamment passée par une sorte de bagne : la colonie-maison de redressement de Belle-Ile-en-Mer au large de la Bretagne.

Une restitution poignante de ce que fut un pauvre gamin, sauvage et démuni, qui aura oublié d’être un enfant et qui dans ce récit se laissera imperceptiblement apprivoiser par le couple qui lui donnera de l’amour.

Cet ouvrage se concentre sur la fraction de la vie de Bonneau relative à un quotidien vécu dans l’enfermement, puis son évasion quasi accidentelle et enfin son apprentissage, notamment du métier de marin-pêcheur exercé dans la peur d’être reconnu et arrêté …

Un roman dur, violent, écrit avec le talent si particulier auquel nous aura accoutumé Sorj Chalandon …

Ori - Kraainem - 89 ans - 11 juin 2024


Roman coup de poing ! 10 étoiles

Jules Bonneau, mieux connu sous le pseudo de La Teigne, est à la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer depuis ses treize ans. En fait de colonie, c’est plutôt un bagne pour enfants, esclaves de leurs bourreaux. Ces enfants ont pour tort de n’avoir pas de parents qui s’occupent d’eux. Ce ne sont même pas forcément des délinquants.
La mère de Jules est partie lorsqu’il avait cinq ans. Son père, blessé de guerre, alcoolique, l’a abandonné chez ses parents qui ne s’en sont pas occupés. Il avait tout le temps faim. Alors, il s’est mis à voler et lors d’une vengeance contre une injustice, il s’est fait arrêter et a été envoyé en correction.
Le quotidien des enfants est un véritable calvaire : affamés, battus, les enfants sont exploités pour rapporter de l’argent. Et Jules s’endurcit ; il est trop occupé à survivre pour s’occuper du sort de ses compagnons de misère… sauf un plus jeune et plus fragile qu’il finit par prendre un peu sous son aile.
Lors d’une insurrection en 1934, Jules s’échappe avec beaucoup d’autres alors qu’il a vingt ans...
Sorj Chalandon trempe effectivement sa plume dans la rage. Et elle ne faiblit pas tout au long de son récit. L’apaisement n’est jamais tout-à-fait là pour son héros qui puise sa force dans la hargne. L’auteur réussit à plonger son lecteur dans l’angoisse de son personnage et une tension qui vous tient du début à la fin. Le lecteur vibre ainsi face à tant d’injustice faite aux petits. Un livre puissant !

Pascale Ew. - - 58 ans - 11 février 2024


Une page d'histoire dramatique 10 étoiles

L'enragé
roman de Sorj Chalandon
404 pages
éditions Grasset
août 2023


Jacques Prévert a écrit l'un de ses plus grands poèmes, sinon le plus grand sur cette page d'histoire réelle, dramatique, il l'a intitulé: la chasse à l'enfant
« ...pour chasser les enfants pas besoin de permis
Tous les braves gens s'y sont mis... »

Le 27 août 1934, 56 enfants se révoltent et s'échappent de la colonie pénitentiaire de Belle-île-en-mer.... la chasse ouverte, violente, générale est lancée.
Tout le monde s'y met, les « braves gens » aussi, même des touristes.
Jacques Prévert apparaît dans cette histoire racontée par l'auteure de ce livre.
Il observe, note les réactions et les comportements, sa plume sera acerbe et si juste !
Tous les enfants ont été repris, ils paieront le prix fort de cette évasion, leurs corps ne seront pas épargnés par les coups.... Tous retrouveront l'enfer de cette incarcération non éducative, tous ? Sauf un qui manquera à l'appel, Jules Bonneau dont l'auteur de ce livre raconte l'histoire.

Jules est un jeune mayennais qui a vu partir sa mère et qui a été abandonné par son père. Ses grands parents l'ont laissé se faire embastiller à la suite d'un acte de délinquance juvénile.
Il sera envoyé à Belle-Île-en-mer, dans un authentique bagne pour enfants !
On ne badinait pas à cette époque là.
Il y retrouve des enfants abandonnés envoyés là suite à des vagabondages, des voleurs de pain, des enfants aigris ou perdus.
La violence est partout, elle existe entre ces enfants contraints à un travail forcé et à une vie à moitié cloitrée mais elle est brutale et institutionnelle.
Ces enfants qui restent là jusqu'à leur majorité sont régulièrement frappés par leurs moniteurs dans cette colonie, les petits sont régulièrement violés.
C'est la loi de la jungle .
Jules que certains appellent la teigne est un dur.
Le climat est explosif, la colère monte chez les pensionnaires qui n'en peuvent plus et la révolte survient ce 27 août 1934.
Les enfants s'en prennent à leurs bourreaux et décident de s'enfuir.
Où aller ? Ils sont sur une île surveillée.
Jules réussit à se cacher.
Il va échapper à la meute « d'honnêtes gens » et faire des rencontres improbables avec un couple de personnes REELLEMENT honnêtes qui vont le cacher et l'intégrer.... chut, j'arrête ici.
L'histoire se poursuit, la vie de Jules va prendre une autre tournure qui ne va pas lui épargner les risques de toutes natures.
Ce livre est dramatique, bouleversant et INOUBLIABLE !

Jean-François Chalot

CHALOT - Vaux le Pénil - 77 ans - 7 janvier 2024