Leçons
de Ian McEwan

critiqué par Nav33, le 2 janvier 2024
( - 76 ans)


La note:  étoiles
Réminiscences d'un homme sur sa vie
C'est la vie d'un homme ,de son enfance , jusqu'à presque 80 ans .

Au delà difficile d'en dire plus sans divulgâcher.

Roland après une enfance relativement libre et heureuse en Libye , avec son père sous-officier de l'armée britannique et sa mère un peu dépressive , doit poursuivre sa scolarité secondaire dans un pensionnat en Angleterre 
Il semble très doué , notamment en musique et bénéficie de cours particuliers dispensés par Myriam une jeune professeur de piano , qui se livre parfois à des attouchements sur ce garçon prépubère de onze ans . Pendant deux ans elle confie à un collègue la suite de son apprentissage musical . Le souvenir de cette relation va accompagner l'éveil sexuel de l'adolescent dont les fantasmes se focalisent sur la jeune femme. Dans le contexte de fin du monde de la crise des missiles de Cuba , Roland se rend au domicile de Myriam , répondant à une ancienne invitation troublante à laquelle il n'avait jusqu'ici pas obéi. De ce jour Myriam fera de lui pendant deux ans son amant secret , et presque son captif , dans une passion physique et musicale. Face à une emprise sans cesse plus exigeante il finira par s'enfuir d'elle , mais aussi de son avenir scolaire et artistique. Commence pour lui une vie , indépendante , erratique , dans laquelle il ne peut plus se fixer sur un objectif de vie , ni de métier , ni une relation amoureuse stable .
Néanmoins , Il finit par se marier et avoir un fils , Lawrence , avec une femme qui rêve de devenir écrivaine et va le quitter brutalement , lui abandonnant en même temps le bébé de sept mois , pour effectivement devenir une grande romancière.
Voilà pour les deux jalons importants de cette biographie. Dans un roman plus ancien , « Samedi » Mc Ewan avait concentré l'action dans un quartier de Londres sur une seule journée (unité de temps , unité de lieu , unité d'action , nous enseignaient nos professeurs de français pour les tragédies classiques). Cette fois-ci il nous entraîne dans une multitude de lieux de la Libye à Londres , Berlin , Munich , Liebenau , le Lake District , et navigue dans durée d'un siècle , au fil des réminiscences de Roland sur sa propre vie et celles de la génération précédente , avec des événements historiques en toile de fond.
J'ai trouvé ce roman très intéressant , mais aussi déprimant . C'est le regard d'un homme âgé qui se penche sur son passé , qui à plusieurs reprises aurait pu prendre une direction très différente. Quand il compare sa vie à celles de parents qui ont vécu la seconde guerre mondiale il convient néanmoins que sa propre existence n'était pas si mauvaise et même enviable à certains égards. D'ailleurs ses sentiments envers les êtres qu'il a connus évoluent continuellement . En final il finit par porter sur chacun d'eux un regard bienveillant. Un seul ressort totalement négativement : un ancien ami et rival , prototype de l'homme d'affaire ambitieux , et futur ministre brexiter . Mais ce n'est qu'un personnage relativement secondaire.
A travers le personnage de l'ex épouse devenu romancière , Mc Ewan nous livre aussi le « making of » du roman. Comment l'écrivain glane dans sa vie personnelle , son entourage , les briques de construction de sa fiction . Les intéressés se retrouvent parfois à tort ou à raison dans les personnages , souvent de manière négative.
Pour autant , s'il est pessimiste et inquiet, Mc Ewan n'est pas cynique , et l'affection est ce qui relie de manière dominante Roland et ses proches . Il émeut le lecteur à son tour. Certains diront qu'il est plus facile de faire pleurer que de faire rire. Mais soyons bon public.
Une vie 9 étoiles

Ce gros roman de Mc Ewan m'a fait penser au formidable "Une vie" de Maupassant : au gré de huit cent pages McEwan fait le portrait d'un anglais depuis son enfance après la seconde guerre mondiale jusqu'à la crise du covid en 2022. Il en ressort une grande humanité, le sentiment de toucher à l'essence de la condition humaine, car l'auteur rend ses personnages très réels et on s'y attache vraiment.

J'ai aimé cette idée que certains moments clés déterminent le reste de notre vie. Ainsi le gamin de quatorze ans va rendre visite à son professeur de piano en pleine crise des missiles de Cuba (il est persuadé que la fin du monde est proche et veut expérimenter la sexualité avant), et cela reste un moment fondateur qu'il trainera toute sa vie. On vit avec les choix (et les non-choix) qu'on a fait. Mais à la fin la vieillesse arrive pour tout le monde, les problèmes de santé rendent le reste relatif et c'est l'heure des bilans. J'ai bien aimé aussi la réflexion pessimiste sur l’évolution de nos sociétés, après les grands espoirs suscités par la chute du mur de Berlin c'est un long retour en arrière qui est arrivé.

La critique de Nav33 est parfaite. Par contre je n'ai pas trouvé la fin triste, au contraire. Il se dégage une grande humanité et une empathie qui découle du fait qu'on partage tous la même destinée et qu'à l'instar des personnages du roman on vit notre vie tant bien que mal.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 17 juillet 2024


Melting-pot d'Ian Mc Ewan 8 étoiles

Le réalisme est un artifice. Iwan Mc Ewan le sait. Il préfère la clarté de son cinéma intérieur pour vois comme chez Conrad, l'intérieur de son héros.

Dans ce roman, la vie londonienne d'un aspirant poète se fissure soudainement. Son épouse l’abandonne pour se consacrer à l’écriture de son roman, plutôt qu’à son rôle de jeune mère. Commence alors pour le héros une exploration de son passé afin de remonter aux prémices d’un tel échec.

Des bribes ressortent de ses premières années en Libye auprès d’un père tyrannique et de son arrivée forcée en Angleterre dans un pensionnat austère à douze ans. Y débutent de curieuses leçons de piano, avec sa sévère et lubrique professeure. Le personnage détale vers l’Allemagne et tombe amoureux d’Alissa pour son goût de la littérature. Le monde et les années avancent mais le héros dérive toujours. Son seul espoir : retrouver son ancienne professeure de piano pour se libérer...

Sa potentielle liberté ne risque-t-elle pas d'y laisser des plumes ? Ce livre devient alors "une vie examinée" (terme que McEwann emprunte à Henry James). Le tout avec ses attentes et son bilan de défense contre le mal à travers ce personnage qui doit beaucoup à l'existence de son auteur. C'est sans doute son livre le plus intimiste à ce jour même s'il continue de brasser le monde.

JPGP - - 77 ans - 15 octobre 2023