Au coeur des solitudes de Lomig
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Un merveilleux hommage à un pionnier de l'écologie
Il y a près de 200 ans, l’Écossais John Muir fut l’un des pionniers de l’écologie. Ce biopic en BD retrace les différentes expéditions dans le Nouveau Monde de cet écrivain passionné de nature. C’est un accident lors duquel il faillit perdre la vue dans la scierie où il travaillait qui provoqua chez lui un déclic. Dès lors, il n’aura de cesse d’arpenter à pied les terres épargnées par l’activité humaine, un choix qui le conforta dans sa quête d’accomplissement personnel et son désir de militer pour la protection des espaces naturels.
Dans le domaine de l’écologie, on connaît plus David Henry Thoreau que John Muir. Pourtant, les deux hommes ont des parcours très similaires et beaucoup de points communs, à commencer par leurs origines écossaises. Et hormis le fait d’être également contemporains, nés au début du XIXe siècle, tous deux étaient écrivains, philosophes et naturalistes, avec un profond respect pour la nature et le vivant. Si Thoreau est davantage connu que son cadet de vingt ans, sans doute est-ce dû à l’un de ses ouvrages emblématiques, « La Désobéissance civile », qui a influencé Gandhi et Martin Luther King, ainsi que les mouvements contestataires des années 60 ou encore les anarchistes. Mais Muir aussi a laissé son empreinte en fondant en 1892 le Sierra Club, l’une des premières associations écologiques, toujours très active de nos jours, et en ayant milité aux côtés de Robert Underwood Johnson pour la création du parc national du Yosemite.
C’est donc Lomig, auteur dont la bibliographie traduit les préoccupations environnementales et sociétales (« Dans la forêt », « Le Cas Fodyl »…), qui nous met avec bonheur dans les pas de cet arpenteur infatigable qu’était John Muir, en s’inspirant de son journal. D’emblée, on est intrigué par le parti pris du noir et blanc pour un style franco-belge généralement coutumier de la couleur. Et très vite on en réalise la pertinence en examinant le trait, d’une finesse rare, frôlant le sublime, en particulier dans la représentation des paysages, des végétaux et des animaux. Il y a de quoi rester bouche bée, et l’on se dit en effet que la couleur serait redondante ici. Lomig nous donne à voir, de façon réaliste, les beautés d’une nature luxuriante dans de longs passages contemplatifs qui produisent une sensation unique d’immersion.
Dans un souci de s’approcher au plus près de l’expérience de Muir, Lomig a respecté la linéarité de son journal, ce qui produit une narration lente, sans à-coups, sans esbroufe, ce qui colle tout à fait au rythme d’une marche au long cours.
L’impression globale, c’est que l’auteur a réussi à se mettre dans la peau de John Muir pour nous faire ressentir la plénitude expérimentée par l’Écossais durant sa randonnée. Mais il n’a pas non plus cherché à enjoliver le sujet plus que nécessaire. Car si ce pionnier de l’écologie pensait parfois avoir l’impression d’être au paradis en observant l’harmonie et la beauté des sites qu’il traversait, son expédition n’a pas toujours été une partie de plaisir. La nature peut se révéler sans pitié, et, comme nous le montre Lomig, notre arpenteur en a fait les frais en contractant le paludisme dans les marécages de Floride, ce qui l’avait énormément affaibli et l’empêcha de poursuivre son voyage vers l’Amérique du Sud. On voit aussi comment l’Homme, en adhérant au progrès technique, en a payé le prix en brisant l’harmonie qui le reliait à la nature. Muir croisera ainsi sur sa route des chasseurs stupides et avinés, des populations traumatisées et appauvries par la guerre de Sécession. Alors qu’il se dirige vers la vallée de Yosemite, il s’émeut des dégâts causés sur la nature par le troupeau de moutons qu’il accompagne en transhumance, ainsi que des scieries installées au beau milieu des magnifiques forêts de la Sierra Nevada. Mais c’est lorsqu’il remet les pieds à New York qu’il prend conscience qu’il ne pourra plus jamais vivre dans la cité grouillante « où un luxe exubérant s’étale face à une misère noire, la plus affligeante qui soit ».
A travers les yeux candides et émerveillés de cet être hors normes, à qui certains esprits très terre-à-terre reprocheront sans doute de n’être qu’un doux rêveur, Lomig nous fait redécouvrir de façon magistrale une nature que nos modes de vie urbains, de plus en plus soumis au tout-technologique, nous ont fait oublier. Une nature que l’être humain continue à maltraiter avec désinvolture, jusqu’à compromettre sa propre survie, peut-être justement parce qu’il a désappris à en apprécier les beautés. « Au cœur des solitudes » est un roman graphique magnifique et, pourrait-on dire, une expérience inoubliable, celle d’un homme remarquable dont l’ambition première était de faire corps avec les éléments.
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