Proust, roman familial de Laure Murat
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire
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Aimer Proust
C’est en regardant un épisode de la série à succès Downton Abbey que Laure Murat a perçu, de la manière la plus élémentaire, à quel point le milieu dans lequel elle était née et avait grandi était un milieu « de pures formes ». Dans l’épisode en question, l’on voit un maître d’hôtel vérifiant la bonne ordonnance d’une table destinée à recevoir des convives du grand monde et, pour ce faire, mesurant soigneusement la distance entre les fourchettes et les couteaux afin qu’elle soit partout identique. Même si Laure Murat n’a jamais elle-même observé une scène équivalente, elle a aussitôt perçu combien cela correspondait à sa propre expérience et, également, combien cela résonnait avec son travail en cours qui était d’écrire une introduction à un recueil d’articles sur Proust.
Proust, justement, Proust et son grand œuvre, À la recherche du temps perdu dont les personnages, tant elle en entendit parler durant son adolescence, lui semblait être « des oncles ou des cousines » qu’elle n’avait pas encore rencontrés. Proust qu’elle lut, pour la première fois, à l’âge de vingt ans, qui la stupéfia et ne la quitta plus : « Ce livre immense m’enchantait comme un kaléidoscope dont chaque mouvement révèle des figures et des combinaisons insoupçonnables, des mondes infinis. » Proust qui non seulement la délivra des poncifs et des platitudes attachés à la noblesse, mais qui, le premier, prit « l’homosexualité au sérieux » (selon l’expression de Chantal Akerman).
Laure Murat l’écrit d’emblée : alors que son destin était tout tracé (se marier et avoir des enfants), elle parvint à s’affranchir de toutes les contraintes et de tous les faux-semblants liés à la noblesse : « Je n’ai pas d’enfants, je ne suis pas mariée, je vis avec une femme, je suis professeure d’université aux États-Unis, je vote à gauche et je suis féministe. » Pour ce qui concerne sa famille et, en particulier ses parents, elle sait reconnaître ce qu’elle leur doit, entre autres le goût de lire qui n’était pas seulement, en l’occurrence, un simple « vernis destiné à faire joli dans la conversation. » Mais, pour ce qui concerne l’aristocratie, ce « monde de formes vides », elle est sans indulgence et sa lecture attentive de Proust la conforte dans ce sens.
Car, contrairement au contresens qu’énoncèrent certains lecteurs superficiels de Proust, loin d’effectuer une apologie de la noblesse française, la Recherche, au contraire, la démystifie totalement en mettant à nu sa futilité. Proust ne se fait aucune illusion sur l’aristocratie et il en montre la superficialité et les petitesses, plus ou moins dissimulées derrière une grandeur de façade et des rôles que chacun s’efforce de jouer à la perfection, petitesses dont Laure Murat fut l’observatrice au sein de sa propre famille, avant qu’elle ne prenne ses distances : « Pour ténus qu’ils soient, les quelques fils de la Vierge tissés entre Proust et ma famille, qu’il s’agisse des Murat ou des Luynes, dessinent un univers où se retrouvent la plupart des ingrédients de la société aristocratique de la Belle Epoque décrite dans la Recherche : les mariages d’argent, les tensions entre noblesse d’Ancien Régime et noblesse d’Empire, les croisements avec le « sang juif », les détours clandestins par Sodome… ».
L’essai de Laure Murat, remarquable à bien des égards, se distingue particulièrement chaque fois qu’il met en correspondance, de façon tout à fait judicieuse, la relecture de la Recherche et l’expérience propre de l’autrice. Et, puisqu’on a affaire à une lectrice assidue et insatiable du grand œuvre proustien, le propos en est toujours passionnant. Il faut espérer qu’il donnera ou redonnera le désir et le goût de lire la Recherche, une œuvre réputée difficile mais, à mon avis comme à celui de Laure Murat, à tort. D’après les chiffres de vente que celle-ci rapporte, beaucoup de lecteurs en ayant entrepris la lecture s’arrêtent, découragés, en cours de chemin, souvent même après le premier volume (rappelons que la Recherche en compte sept). « À l’image d’Ulysse [de Joyce] pour les anglophones, écrit Laure Murat, la lecture de la Recherche est présentée à la fois comme un exploit quasi insurmontable et un impératif catégorique de la culture française. » Un exploit, peut-être, mais que, à l’exemple de Laure Murat, je ne peux que recommander avec autant de conviction qu’il est possible. S’il faut accomplir un gros effort (sinon un exploit) pour lire la totalité de la Recherche, c’est un effort dont on ressort gagné par un enthousiasme et une fascination (et une envie d’y retourner) pas si fréquents, même pour les lecteurs les plus passionnés par la littérature, d’une manière générale.
Les éditions
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Proust, roman familial [Texte imprimé] Laure Murat
de Murat, Laure
R. Laffont
ISBN : 9782221271308 ; 20,00 € ; 24/08/2023 ; 256 p. ; Broché
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Ouf ! Ce n'est pas du Proust !
Critique de Mimi62 (Plaisance-du-Touch (31), Inscrit le 20 décembre 2013, 71 ans) - 23 avril 2024
Elle aborde ici le mode de vie de cette couche sociale qui était sienne et qu'elle a quitté pour s'émanciper
Un propos bien écrit sur une couche sociale enfermée sur elle-même d'où se dégage de l'ennui tricoté avec des conventions débouchant sur une certaine pauvreté intellectuelle.
Regard bien porté mais une lecture qui ne m'a guère passionné.
Je suis de ceux qui ne comprennent pas l'intérêt porté aux écrits de Proust, malgré de nombreuses tentatives, aussi reconnais-je à ce "roman familial", par comparaison, quelque chose de dynamique, de vivant, quasiment de captivant
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